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Bilan du séminaire du CERIEL (année 2002-2003), par Timothée Picard
UFR de Lettres, Université Marc Bloch-Strasbourg II
Le bilan de l’année 2001-2002 nous avait permis de mettre en avant trois enjeux principaux auxquels l’écriture littéraire de l’histoire était confrontée. Tout d’abord un hiatus, semble-t-il indépassable, entre engagement de l’œuvre dans l’histoire, imposée par l’événement, et préservation indispensable d’un degré suffisant de littérarité, jugé nécessaire pour qu’il y ait véritablement œuvre littéraire. Ce hiatus engendre un double paradoxe : l’œuvre dite désengagée, ou refusant l’histoire, est rattrapée par l’histoire en ceci qu’elle ne peut, intrinsèquement, échapper à l’expression générale d’une prise de position de la littérature par rapport à l’histoire ; parallèlement, l’œuvre littéraire ne peut jamais atteindre le plein engagement, en raison de sa nature essentiellement polyphonique. Ce hiatus met donc ensuite en lumière un degré variable de soumission ou de liberté par rapport à l’événement tout comme à l’événementiel. Enfin, cette relation d’apparente incompatibilité entre littérature et histoire ne pouvait être subsumée que par la mise en avant de l’importance du « regard » de l’écrivain, une « mise en récit » qui est propre à ces deux domaines, et qui est tout autant question de style que de philosophie de l’histoire. Ce sont ces thématiques que, tout en privilégiant de nouveaux enjeux, comme le prouvent les résumés des communications présents sur le site, le CERIEL a approfondies cette année.
Quatre des huit interventions proposées ont porté sur le genre théâtral, montrant ainsi l’importance de ce genre dès lors que c’est d’une collectivité en devenir, soutenue par certaines obsessions téléologiques, qui est en jeu. Ce théâtre offre des visions différentes et à bien des égards contradictoires de l’histoire ; de même, sa vocation et sa finalité ont-ils pu prendre des formes différentes. Avec Villiers de l’Isle-Adam (communication de Geneviève Jolly, Strasbourg), on remarque ainsi que l’événement peut être tiré de sa signification première, celle qu’il a pris dans l’histoire, pour recevoir, à travers un travail d’esthétisation et de subjectivation, une dimension essentiellement chorale, lyrique, dont le destinataire, sommé de devenir partie prenante du drame, doit reconstituer le sens. Dans le théâtre de Camus (Jean-Yves Guérin, Marne-la-Vallée), on constate au contraire la volonté de conserver au genre théâtral son rôle de garde-fou, de mise en garde prophétique, dès lors que l’histoire révèle une propension collective à verser dans le totalitarisme, la simplification idéologique et la barbarie. Le danger pour un théâtre qui souhaite avant tout garder sa dimension de fable universelle, intemporelle et polyphonique, est cependant de voir lui échapper, dans un jeu de lectures multipliées à l’infini, l’objet historique de litige qu’il prétend dénoncer (ici, les totalitarismes), et de se perdre dans le labyrinthe du symbole et de l’allégorie. Si ce théâtre du sursaut éthique a voulu avant tout défendre les valeurs humanistes de la justice ou de la liberté, valeurs menacées par un contexte historique inquiétant, d’autres expériences théâtrales ont pu, à l’inverse, abuser du processus identificatoire hypnotique propre à l’essence de la tragédie, et, dans une certaine mesure participer, voire amplifier une véritable crise de civilisation. C’est le cas du théâtre de Wagner (Timothée Picard, Strasbourg), théâtre qui a prétendu refuser l’histoire au profit du mythe, et dont la récupération idéologique opérée par les Nazis a mis en lumière, dans l’histoire réelle, tous les dangers ; c’est également le cas du théâtre expressionniste allemand (Cécile Schenk, Strasbourg) qui, obsédé par différentes expressions coexistantes et pourtant opposées de la philosophie de l’histoire, a défaitcette dernière de toute lisibilité, créant définitivement l’amalgame entre révolution et réaction, entre aube nouvelle et apocalypse.
C’est qu’une des questions principales liées à l’idée d’un engagement du théâtre dans l’histoire est celui du public auquel on s’adresse, image réduite de deux entités parfois opposées : un peuple auquel il donne forme dans un esprit souvent nationaliste ; une communauté universelle à la fraternité cosmopolite. Il n’est pas étonnant que, dès lors qu’il s’est agi d’écrire l’histoire, dans le théâtre comme dans le roman, certains pays et peuples aient été particulièrement concernés, ceux dont l’accession à l’identité nationale s’est avérée particulièrement problématique : l’Italie (Sophie Guermès, Strasbourg) et l’Allemagne en voie d’unification puis d’interrogation identitaire, le peuple juif en quête de reconnaissance internationale, et confronté au statut d’éternel passant, d’éternel bouc émissaire (Stéphane Michaud, Paris III).
Il est ensuite apparu qu’écrire l’histoire, c’est aussi, au sein d’une délicate recherche de sa « vérité », la réécrire. La réécriture de l’histoire peut revenir à donner de l’événement un autre éclairage que celui qui lui est habituellement, « historiquement », donné et d’ainsi privilégier sa teneur esthétique. Cela peut aussi vouloir dire, parce que la littérature est affaire de choix, passer sous silence certaines matières pour en exhausser d’autres, dans un refus de l’objectivité qui oscille entre idéal de la vérité, plus vraie que la réalité même, et le risque, assumé ou non, du mensonge. Dans cette logique, il faut réserver une place particulière à l’utilisation récurrente de l’anachronisme et de l’inversion des événements (Alain Montandon, Clermont-Ferrand). Cette propension est susceptible de cacher plusieurs choses. En premier lieu, pareil biaisement peut trahir un refus de l’histoire scientifique, considérée comme asséchante et fragmentée, lors même que l’écriture seule peut recréer, « présentifier » un passé glorieux dans toute sa cohérence organique et montrer à quel point celui-ci écrase de sa superbe un présent considéré comme terne. Ensuite, l’anachronisme peut être la marque d’un souhait de distanciation ironique, signe que l’écriture, confrontée à la labilité des choses de ce monde, n’est pas en mesure de redonner vie au passé autrement que dans une rêverie dont l’écrivain ne se dit pas dupe. Cela, on le voit, d’une façon ou d’une autre, chez Balzac ou Gautier. Enfin (Pierre-Louis Rey, Paris III), l’interversion des événements peut être l’aveu même d’un scepticisme face à ce souhait illusoire d’accéder à « la » vérité de l’histoire. Cette vérité, revendiquée par des journaux pourtant sans cesse menacés de péremption, tout comme par les historiens, qui n’en restitueront jamais qu’une composante, ne se manifesterait alors que de façon fragmentée. Pour certains écrivains comme Proust, poussant le paradoxe à son terme, la « vérité » de l’événement est moins dans ce qui est dit que dans le façon de le dire, toujours susceptible d’évoluer. L’événement historique ne serait rien d’autre, alors, qu’un fait de société contingent, représentant à un instant donné, par les partitions qu’il effectue au sein de celle-ci, un miroir fragile d’une communauté d’hommes provisoirement assemblée ou divisée. Cette déception face à la possibilité de dire l’histoire n’est in fine que relative car elle constitue par excellence un moteur d’écriture, une raison d’être de la littérature.
La littérature écrivant l’histoire est alors prise entre deux feux : la nécessité de produire un discours clair, pour que les valeurs véhiculées par l’éthique qu’elle défend soient aisément repérables au sein d’un discours littéraire dont l’essence est d’être polysémique ; et, concomitamment, le souci que l’œuvre ne se soumette pas à la même simplification dont cette histoire dont elle prétend être le miroir a pu faire l’objet (Cf. Camus). De même que l’histoire doit rester irréductible à toute forme de schématisation, de même et a fortiori doit-il en être pour la littérature.
La littérature est en effet, qu’elle le veuille ou non, une question de responsabilité, et cela, aucune forme d’esthétisation de l’histoire ne saurait l’oublier car toujours celle-ci, lorsque la littérature l’a tirée vers le pire sous couvert de ne s’occuper que d’elle-même, se rappelle à elle et la met en procès. Elle est un lieu possible de résistance, un isolât où se brandissent encore pour quelques individus les idéaux, quand l’histoire est devenue le théâtre d’un chaos collectif, autant qu’elle est celui d’une compromission, lorsqu’elle livre des images fallacieuses et transfiguratrices de ce même chaos (à nouveau, voir Camus). Ainsi, la littérature peut, face au pragmatisme et aux circonvolutions des politiques, garder fermes et constantes ses convictions (Cf. Charles Didier, George Sand et Louise Colet). Elle peut tenter de corriger le devenir historique du pays dont elle est l’émanation, devenir historique qui perd sa route et dont elle se moque, par le truchement de la culture nationale, pour le défaire de ses ambitions édifiantes et, parfois, meurtrières. A l’inverse, la littérature peut être le terrain d’élection des paraboles historiques particulièrement dangereuses lorsque, quittant l’espace littéraire, on veut les concrétiser (voir une partie du théâtre expressionniste allemand). Faire que l’histoire soit écrite selon la littérature, c’est renverser artificiellement certaines prérogatives.
En dernier ressort, alors, pourquoi écrire l’histoire, qu’est-ce qui pousse la littérature à le faire, si l’histoire est un des impossibles de la littérature, et même, si cette inclination n’est pas sans dangers ?
L’écriture de l’histoire révèle, ainsi que l’a montré Alain Montandon, un important processus d’activation des pulsions libidinales propres à tout écrivain. S’y révèlent une peur de la mort, une hantise de la castration, peurs que l’on souhaite conjurer, ou la volonté, dans un geste prométhéen de ressusciter par l’écriture le passé et ses fantômes, de mettre en présence Eros et Thanatos.
Poser la question « pourquoi écrire l’histoire », c’est, enfin et surtout se demander « comment l’écrire ». Si la littérature est parfois, après les peuples auxquels elle est destinée, l’ultime dupe de ses propres facultés à unifier illusoirement ce qui est disparate, alors l’ironie reste le meilleur moyen de se prémunir contre de telles tentations, qui plus est singulièrement néfastes dans et pour l’histoire. « Faire style » pour « faire époque », c’est alors authentiquement écrire non pas l’histoire, mais une certaine histoire. C’est rester dans la fiction, autrement dit dans la littérature et non dans un entre-deux bancal dont ni la littérature ni l’histoire ne ressortent grandies.
Les communications de ces deux années de séminaire seront publiées dans un Numéro spécial de la Revue de l’U.F.R. Vives Lettres. Le séminaire sera poursuivi l’année prochaine.
Timothée Picard
Présentation par Gisèle Séginger
Le programme du colloque des 9 et 10 décembre 2002
Exposition « Zola à voir » à la Bibliothèque Nationale Universitaire
Le petit journal « Zola le révolté, images d’une vie » (avec des caricatures de Zola)
Zola au cinéma à Strasbourg au cinéma L’Odyssée et à l’Université
Une conférence d’Alain Pagès le mardi 10 décembre 2002 à la BNUS
Voir quelques photos prises lors du colloque
L’après-colloque : lire les résumés des communications
Cent ans après sa mort (1902) Zola a sa place au Panthéon des grands auteurs, parmi nos classiques. Pour autant son œuvre n’a rien perdu de sa puissance initiale. Elle conserve un éclat particulier car elle plonge dans les profondeurs inquiétantes des forces qui animent toujours les sociétés et les êtres. Ses récits disent le désir, l’instinct de mort, la folie, la révolte qui troublent et le corps et la société. Ils plongent dans les abîmes du réel et produisent les nouveaux mythes d’une beauté moderne qui ne recule pas devant la boue du ruisseau. Travailleur acharné, maître de lucidité, Zola sait aussi agir et lutter pour la justice. Pendant l’affaire Dreyfus il affronte le pouvoir et lance un retentissant : « J’accuse... ! » Il n’est donc pas étonnant que l’œuvre et l’homme aient suscité de vives réactions mais aussi une fascination dont témoignent la multiplication des caricatures puis au vingtième siècle le nombre des adaptations cinématographiques. Les manifestations du centenaire, organisées à Strasbourg (colloque, exposition, cinéma), à l’initiative du CERIEL (université Marc Bloch), présenteront à la fois l’écrivain à l’œuvre – son travail dans les manuscrits – et les relais de diffusion – affiches, caricatures, films – qui ont contribué à sa notoriété et la renforcent encore aujourd’hui.
Gisèle Séginger
Université Marc Bloch-Strasbourg II
Centre d’étude sur les représentations - Idées, esthétique et littérature
(CERIEL)
Palais universitaire – Salle Fustel de Coulanges
9 et 10 décembre 2002
Coordination : Gisèle Séginger
9 h-12 h 15 : Ouverture par François-Xavier Cuche (président de l’université), Jean-François Collange (vice-président de l’université, responsable des relations internationales), Jean-Christophe Pellat (doyen de l’UFR des Lettres), Martine Leblond-Zola, Christophe Didier (conservateur à la BNUS).
Présidente de séance : Colette Becker
Henri Mitterand, université de Columbia (USA), « Retour aux origines. Les notes préparatoires de l’Histoire naturelle et sociale d’une famille au XIXe siècle »
Auguste Dezalay, université de Strasbourg II, « La notion de programme et les hasards de l’invention chez Zola »
Charles Grivel, université de Mannheim (Allemagne), « Photographie, genèse de l’œuvre »
Olivier Lumbroso, « L’espace au fil du plan : l’assemblage des lieux dans les dossiers préparatoires des Rougon-Macquart »
Rae Beth Gordon, université du Connecticut (USA), « La mécanique de l’inconscient et la mécanique de l’écriture »
14 h 30 – 17 h 15
Colette Becker, université de Paris X, « Au Bonheur des dames : de l’enquête à la fiction ».
Kajsa Anderson, université d’Orebro (Suède), « La joie de vivre : du document humain au récit ».
Ai Takahashi, université de Strasbourg II, « La genèse de trois personnages : Séverine, Flore, Philomène. Un système d’oppositions »
Présidente de séance : Gisèle Séginger
Kelly Basilio, université de Lisbonne (Portugal), « Genèse biblique, genèse zolienne »
David Baguley, université de Durham (Royaume-Uni), « Zola et le roman historique » sur La Débâcle »
Eléonore Roy-Reverzy, université de Strasbourg II, « La Fortune des Rougon : genèse des origines »
Mardi 10 décembre
9 h 15 – 12 h
Jean-Pierre Leduc-Adine, ITEM/CNRS, « Le Rêve et son porche »
Tohariko Terada, Saint-Germain-en-Laye, « La représentation des saints dans Le Rêve : de La Légende dorée au stéréotype ».
Ai Hayashidai, université de Strasbourg II, « Le sacrilège de l’athéisme tranquille : les transformations du jardin de La Conquête de Plassans »
Président de séance : Alain Pagès
Geoff Woollen, université de Glasgow, « Des petits prêts entre amis à l’anxiété d’influence : Rastignac, Javert, Porphyre, Denizet »
Noriko Yoshida, université de Kobe (Japon), « Zola et Berthe Morisot : une remarque sur la genèse d’Une Page d’amour »
Jean-Louis Cabanes, université de Paris X, « Les lectures en partie doubles dans les Rougon-Macquart : la genèse et ses miroirs »
Gisèle Séginger, université de Strasbourg II, « D’un train à l’autre : genèse de La Bête humaine et de Lourdes »
Jacques Noiray, université de Paris IV, « Un personnage disparu de Paris : "l’homme des foules" »
Président de séance : Jacques Noiray
Sophie Guermès, université de Strasbourg II, « Poétique et génétique du drame passionnel dans Rome : vers un élargissement du naturalisme ? »
Béatrice Laville, université de Bordeaux III, « L’écriture de l’utopie dans les Evangiles texte et avant-texte »
Danielle Coussot : Zola à l’ITEM
Zola à voir. Affiches et caricatures (collection François Labadens). Exposition organisée par la Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg à l’initiative du CERIEL
Voir la caricature du Don Quichotte du 21 novembre 1889 : Zola et l’Académie
Voir la caricature « La grande querelle »
L’exposition organisée par la Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg (BNUS) à l’occasion du centenaire de la mort d’Émile Zola, en accompagnement du colloque consacré à l’écrivain qui se tient à Strasbourg les 9 et 10 décembre, est centrée sur les relations, fort nombreuses, qu’a entretenues l’œuvre de Zola avec les arts visuels. Certes, la communication entre l’écrivain et son lecteur passe avant tout par la découverte muette de lignes imprimées. Mais la parution des écrits de Zola déclenche, à partir des années 1870, un dispositif publicitaire dont l’affiche est un élément d’appel majeur. Les romans sont d’abord offerts au public sous la forme, traditionnelle au XIXe siècle, du feuilleton, avant d’être l’objet d’une édition à proprement parler. Il arrive même, comme ce fut le cas pour Germinal, qu’ils soient repris plusieurs fois en feuilleton dans des journaux différents, et ce après la sortie en librairie. Tous ces lancements font l’objet de véritables campagnes publicitaires, à une époque où l’illustration, en France et en Europe, connaît un âge d’or. À côté d’artistes anonymes, la présence des noms de Jules Chéret ou de Théophile Alexandre Steinlen montre assez le soin que les commanditaires de ces campagnes prenaient de s’entourer des meilleurs affichistes du temps. Les romans de Zola furent par ailleurs assez souvent portés sur la scène, et la promotion de ces spectacles impliquait là encore un dispositif publicitaire pour lequel l’illustration était fréquemment sollicitée. Le choix réuni pour cette exposition en donne mieux qu’un bon exemple : il constitue le plus exceptionnel ensemble d’affiches zoliennes d’époque jamais présenté.
Quant à la caricature, c’est peu dire qu’elle a trouvé, tant chez l’homme Zola, figure de l’intellectuel engagé, que dans ses oeuvres, matière à s’exercer. Soumis à la critique, et ce d’autant plus directement qu’ils connaissent un grand succès, les romans sont évidemment souvent salués, mais plus souvent encore égratignés [voir la caricature de Germinal], voire éreintés – et dans ce domaine aussi l’illustration participe allègrement à la satire. « Moi, voici trente ans que, tous les matins, avant de me mettre au travail, j’avale mon crapaud, en ouvrant les sept ou huit journaux qui m’attendent, sur ma table », écrit Zola en 1897. De fait, la caricature, stimulée par les lois de libéralisation de la presse du début des années 1880, épouse dès lors sans fard les passions et les troubles que vit la société de la fin du XIXe siècle, dont l’exemple le plus fameux reste aujourd’hui encore l’affaire Dreyfus. Dans ce contexte, l’œuvre de Zola et les grands débats nés autour de ses théories naturalistes sont pour les caricaturistes une source d’inspiration sans fin (n’a-t-on pas parlé, à l’époque, d’une « affaire Zola » ?). Tous les grands noms s’y sont mis, de façon plus ou moins féroce, et l’exposition permet ainsi de confronter des regards et des styles qui font toute la richesse de l’illustration française populaire de l’époque.
Christophe Didier
Fils d’un ingénieur italien, Émile Zola est né à Paris. Trois ans plus tard la famille s’installe à Aix-en-Provence où François Zola dirige la construction d’un canal qui doit alimenter en eau la ville. Mais il meurt en 1847 et la famille Zola connaît alors des difficultés financières. Pendant ses études à Aix, Zola se lie avec Cézanne et suit des cours de dessin. La famille s’installe à Paris en 1858. Après deux échecs au baccalauréat, Zola abandonne ses études et mène une vie difficile. Il écrit d’abord des poèmes d’inspiration romantique. À partir de décembre 1860 il fréquente les conférences de la rue de la Paix, organisées par Émile Deschanel. Les sujets traités – « la physiologie appliquée à la critique littéraire », « l’histoire du progrès » – lui ouvrent de nouvelles perspectives. En 1862, il rentre à la librairie Hachette où il s’initie aux techniques publicitaires et rencontre de nombreux écrivains agnostiques ou athées, des défenseurs du positivisme ou du réalisme – Taine, Littré, Duranty – dont l’influence est déterminante dans son évolution. À partir de 1863, il publie ses premières critiques littéraires et artistiques dans la presse républicaine. Il fréquente de nombreux artistes, Courbet, Manet et les peintres qu’on appellera par la suite impressionnistes. 1864 est un tournant dans sa carrière. Après la parution des Contes à Ninon, il s’oriente vers le roman moderne. Les Goncourt publient Germinie Lacerteux et défendent l’« enquête sociale » qui s’impose « les études et les devoirs de la science ». En 1865, Zola écrit un article élogieux et commence à fréquenter les deux frères.
En 1866, il affirme son désir de révolutionner la littérature et l’art dans un volume qui rassemble ses premières critiques sous le titre Mes Haines. Il quitte aussi cette année-là la librairie Hachette pour se consacrer tout à fait au journalisme et à la littérature. En 1867, il publie, Thérèse Raquin, un roman sur le désir sexuel, qui fait scandale : l’auteur est un misérable hystérique qui étale des pornographies, disent les critiques. Dans la préface à la seconde édition (1868), il répond : « non, cet écrivain est un simple analyste, qui a pu s’oublier dans la pourriture humaine, mais qui s’y est oublié comme un médecin s’oublie dans un amphithéâtre. » Zola accède à une célébrité qui s’accompagnera souvent de polémiques. Tout au long de sa carrière, les caricatures témoignent à la fois d’un engouement du public et de la force d’une œuvre provocante par ses innovations et ses libertés.
C’est aussi en 1868 qu’il se lance dans la préparation d’un cycle, l’histoire d’une famille sous le second Empire, Les Rougon-Macquart, en vingt volumes dont la publication s’échelonnera de 1871 à 1893. Il trouve dans l’ouvrage du docteur Lucas, Traité de l’hérédité naturelle, un principe qui donnera une cohérence au cycle : « Drame de la famille par l’effet héréditaire lui-même » (« Notes générales sur la marche de l’œuvre »). Zola se soucie de bien différencier son projet de celui de La Comédie humaine : « Ma grande affaire et d’être purement naturaliste, purement physiologiste. Au lieu d’avoir les principes (la royauté, le catholicisme), j’aurai des lois (l’hérédité, l’énéité [sic]). Je ne veux pas comme Balzac avoir une décision sur les affaires des hommes, être politique, philosophe, moraliste. Je me contenterai d’être savant ». Aussi, contrairement à Balzac, se donne-t-il des limites : « Je ne veux pas peindre la société contemporaine, mais une seule famille, en montrant le jeu de la race modifiée par les milieux » (« Différences entre Balzac et moi », Dossier préparatoire).
La Fortune des Rougon, le premier roman, établit le lien entre l’histoire privée d’une famille et l’histoire politique d’un régime : les Rougon profitent du Coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte pour s’emparer du pouvoir à Plassans, ville imaginaire. Le cycle couvre la durée de l’Empire dont certains romans, Nana, et surtout La Débâcle (1892), avant dernier roman du cycle, représentent la fin. Le Docteur Pascal, qui clôt la série, met en scène un médecin. Biologiste et fin observateur, il est un spécialiste de l’hérédité (7). Son sujet de prédilection est sa propre famille dont il dresse un arbre généalogique. Ce roman conclut le cycle en le commentant. Zola s’y projette sous la figure idéale du scientifique. C’est précisément sous les traits du scientifique que René Gill choisit de caricaturer le romancier naturaliste : Zola, la loupe à la main, manipule avec des pincettes un personnage qu’il étudie.
Le succès de L’Assommoir (1877) lui permet de se libérer du journalisme et d’acquérir la propriété de Médan. Zola s’établit, comme l’écrivain Sandoz dans L’Œuvre (1886). Il reçoit les jeunes naturalistes et en 1880 rassemble dans un volume, Les Soirées de Médan, les nouvelles de ses amis. Cette année-là, qui est aussi celle de la mort de Flaubert et Duranty, il publie Le Roman expérimental qui lui donne une stature de chef d’école, mais suscite aussi critiques et caricatures.
Malgré la notoriété Zola n’oublie pas sa première révolte dans Mes haines : « Je hais les hommes qui se parquent dans une idée personnelle. » Le naturalisme n’est pas un dogme. En 1890, dans La Bête humaine l’hérédité familiale est moins importante que l’atavisme. Zola rattache l’instinct meurtrier de Jacques Lantier moins à une ascendance familiale (la lignée des Macquart) qu’aux origines mythiques de l’humanité, à une sauvagerie inhérente à la condition humaine qui se manifeste par la guerre des sexes. C’est un tragique plus vaste et atemporel, plus mystérieux aussi, qui nous renvoie à une permanence des pulsions par delà les transformations historiques, par delà tout ancrage social dans un milieu. Un inconscient pré-freudien, plus que le milieu ou l’hérédité, pousse irrésistiblement le héros vers le crime. En 1892, Zola avoue d’ailleurs qu’il se lasse du naturalisme de la série des Rougon-Macquart et de ses « procédés » (lettre à Van Santen Kolff). Il doit finir cependant, mais il annonce une évolution après la fin de son cycle : « je verrai, si je ne suis pas trop vieux, et si je ne crains pas trop qu’on m’accuse de retourner ma veste. » En voyage à Lourdes, en 1892, il note : « c’est un remuement des âmes qu’il faut peindre ». Il se lance dans une nouvelle série, Les Trois villes (Lourdes, 1894, Rome, 1896, Paris, 1898) dont le personnage principal est un prêtre en quête de foi. Mais le nouveau cycle ne scandalise pas moins que Les Rougon-Macquart. Le premier roman suscite une vive polémique et la Congrégation de l’Index interdit le roman.
En 1897, la caricature de Léandre – un vieux Zola, la tête écroulée sur un tas de livres, fait un énorme pâté d’encre au bas du rouleau de papier – annonce ironiquement la fin du cycle : « Enfin ! M. Zola arrive au bout de son rouleau en mettant au monde Paris ! Le père et l’enfant se portent bien tout de même » (9). Ce roman, qui se demande « si la science ne peut contenter le besoin du divin », est salué par Léon Blum pour « sa vision optimiste de l’humanité en marche » et par Jean Jaurès pour sa « protestation hardie contre toutes les puissances de mensonge et de servitude. » Au moment de sa parution Zola est d’ailleurs engagé dans une nouvelle lutte contre les puissances de mensonge. En 1897, il a commencé à soutenir les partisans de Dreyfus qui demandent la réouverture du procès de ce militaire juif injustement condamné. Son pamphlet, J’Accuse... ! lui vaut des poursuites judiciaires. Deux fois condamné, en février et en juillet 1898, il s’exile en Angleterre jusqu’en 1899. Les caricatures fixent quelques moments marquants du combat : Zola au Palais de Justice (18), La Cour d’Assises. Les journaux anti-dreyfusards se déchaînent : Zola est le porc, l’étranger (puisqu’il est d’origine italienne), l’ennemi qui porte atteinte à l’armée et s’alliera sans doute aux Allemands. Il reçoit paiement de sa trahison (L’argent de l’étranger, Le Pilori, 6 février 1898), et se sauve peu courageusement. C’est ainsi qu’il est caricaturé dans Le Pilori du 29 mai 1898 sous le titre la La vérité en marche : il fuit en voiture la Justice et l’Armée : « - J’accuse... ! Donc je fuis » (21). Dans pSST... !, Jean-Louis Forain représente un soldat qui balaye les exemplaires de J’Accuse... ! dans la cour de la caserne (La Corvée de quartier, 26 février 1898) ou encore Zola qui tente de traverser le Rhin, et, à demi noyé, brandit hors de l’eau son pamphlet pour appeler un soldat allemand posté sur l’autre rive (18). Les anciens griefs contre l’immoralité des romans et les attaques politiques se rejoignent. Ainsi Le Rire du 21 mai 1898, sous le titre Monsieur Jaurès représente la « Vérité en marche » (20) sous les traits du romancier qui avance en mettant les pieds dans les plats, titubant au milieu d’assiettes et de bouteilles posées sur le sol, avec une femme nue en arrière plan. Le comble est atteint dans le numéro 4 du Musée des horreurs : Zola, en roi des Porcs, est assis sur une bassine de romans naturalistes et déverse sur une carte de France son « caca international ». Cet amalgame de l’esthétique et du politique est bien illustré par la série de trente-deux dessins publiés par Lebourgeois, en juillet 1898, qui réinterprète l’ensemble de l’œuvre de Zola dans un sens anti-dreyfusard. Pour une Page d’amour il reprend le thème de la vérité qui sort du puits mais c’est désormais une juive qui en sort et Zola l’embrasse.
Malgré les années difficiles, Zola continue son œuvre par la rédaction d’un dernier cycle de romans qui annoncent un monde nouveau, Les Quatre évangiles, dont seuls les trois premiers volumes paraissent : Fécondité (1899), Travail (1901) et La Vérité en marche, en 1903, quelques mois après la mort de l’écrivain, le 28 septembre 1902. Il est retrouvé asphyxié à son domicile parisien. Mort ou suicide ? Le centenaire de sa mort est l’occasion de rouvrir le débat.
Gisèle Séginger
Zola au cinéma
• Projection de Germinal de Marc Allégret au Patio (22 rue René Descartes, 67000 Strasbourg) - mardi 10 décembre à 20 h 30
• Semaine « Zola » au cinéma d’art et d’essai L’Odyssée du 20 novembre au 3 décembre.
Émile Zola est mort le 29 septembre 1902, asphyxié par des émanations d’oxyde de carbone provoquées par la cheminée de sa chambre à coucher, dont le conduit avait été bouché. Était-ce un accident ? L’enquête judiciaire menée en 1902 n’a jamais pu reconstituer avec exactitude les circonstances de ce décès. Mais on a cependant conclu officiellement à un accident.
En 1953, cinquante ans après la mort de Zola, une enquête parue dans le quotidien Libération a relancé l’affaire. Le journaliste Jean Bedel, qui signait cette enquête, rapportait le témoignage d’un certain Pierre Hacquin qui déclarait savoir de quelle façon Zola avait trouvé la mort… Une histoire à la fois simple et étrange : dans les années 1920, alors qu’il habitait Sarcelles, Hacquin avait fait la connaissance d’un entrepreneur de fumisterie qui était devenu son ami ; et, un jour, cet homme lui avait déclaré qu’en septembre 1902, profitant de travaux réalisés sur le toit de l’immeuble occupé par Zola, il avait bouché la cheminée de la chambre à coucher du romancier, puis l’avait débouchée le lendemain…
Lorsqu’il a publié son enquête, Jean Bedel ne pouvait révéler le nom du fumiste évoqué par Hacquin. Il l’a fait beaucoup plus tard, en 1978, dans un article du Quotidien de Paris qui est passé inaperçu : cet homme s’appelait « Henri Buronfosse ». Jean Bedel vient de reprendre cette information, en la développant longuement dans un ouvrage publié chez Flammarion, où il examine la révélation de Pierre Hacquin et montre qu’elle lui apparaît tout fait crédible.
Alain Pagès, de son côté, a mené une longue recherche documentaire sur ce sujet, dont il a exposé les principaux résultats dans son Guide Émile Zola, publié aux Éditions Ellipses, en mai 2002, en collaboration avec Owen Morgan. Il est parti de l’énigme que représentait le nom de cet inconnu – Henri Buronfosse... Il s’est efforcé de découvrir quelle personnalité pouvait se cacher sous ce nom. Jouant sur différentes sources d’archive, il est parvenu à reconstituer la vie de cet homme, né en 1874 à Saint-Quentin, dans l’Aisne, et mort en 1928, à Sarcelles. Entrepreneur de fumisterie dans le 4e arrondissement de Paris, Buronfosse était membre de la Ligue des Patriotes… Il était même l’un de ses « commissaires », chargés du service d’ordre de l’organisation.
C’est l’existence de cet homme, son profil psychologique, ses motivations probables, qu’Alain Pagès essaiera d’éclaircir dans la conférence qu’il donnera à la Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg, le 11 décembre à 18 h.
Les Histoires de Tasì Hangbé présentent plusieurs récits sur cette figure...
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