Dans le cadre du séminaire « Frontières des Mémoires : mémorialistes,...
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Le CERIEL (Université de Strasbourg) et le CRP19 (Sorbonne nouvelle) s’associent pour organiser une série de manifestations scientifiques autour de la question de la chasse, de son histoire, de son droit et de ses représentations au XIXe siècle. Pour le volet introductif, c’est sur la chasse comme modèle d’interprétation et de lecture que nous souhaiterions porter l’attention.
Lorsque Carlo Ginzburg définit le célèbre « paradigme indiciaire », il part de l'histoire d'un chasseur examinant les traces laissées par l'animal qu'il poursuit dans la forêt. Le chasseur serait donc le modèle de ces enquêteurs que seront au tournant des XIXe et XXe siècles l'historien d'art Morelli, le détective Sherlock Holmes et l'inventeur de la psychanalyse Sigmund Freud. La pratique herméneutique serait donc chasse : tout herméneute, parce qu'il est en quête d'indices et sait les interpréter, serait chasseur, lancé au pourchas du sens. La littérature réaliste se plaît d’ailleurs à mettre en scène des interprètes qui ont toujours, dans leur qualité d'observateur ou dans leur flair, un don cynégétique, du moins du moment qu'ils consentent à rester proches de leur proie – le juge Denizet (La Bête humaine) qui raisonne et intellectualise trop son enquête est précisément en échec : le coupable lui échappe toujours. Se référant volontiers à des modèles scientifiques et positivistes, le réalisme réactive en effet, dans ces chasseurs herméneutes, une figure qui a trait à la sauvagerie et possède un rapport immédiat à la nature : leur acuité visuelle, leur attention à l'autre dans son odeur ou ses bruits sont-elles intellectualisées ou font-elles d'eux des savants complets – en ce qu'ils ont conservé leurs dons primitifs ? La civilisation antique faisait d'Artémis, déesse chargée de la païdeïa des éphèbes une initiatrice qui permettait justement de prendre la mesure de cette frontière, frontière certes fragile mais intangible dont la chasse permet d'éprouver la présence.
On pourra, avec Terence Cave, évoquer cette lecture cynégétique qui propose non une allégorèse des textes – qui suppose qu’il ait plusieurs sens superposés et que la lecture soit donc décryptage, mise au jour – mais un parcours inductif à travers l’œuvre. Comme il le montre dans Recognitions. A Study in Poetics (1988), le lecteur conduit toujours un travail de limier qui reconstitue une piste ou rétablit la logique d'un système. La reconnaissance littéraire – et il relève qu’anagnorisis (reconnaissance) et anagnostès (lecteur) sont en grec des mots proches – ne fait peut-être que mimer l'acte élémentaire de l'homme qui, pour se nourrir, pour se protéger, pour ordonner la vie du groupe, tente de repérer un sens et un ordre dans la confusion du monde ambiant. La fiction, en ce qu’elle peut restituer cette confusion, invite particulièrement à cette lecture-traque, garante d’un ordre retrouvé et d’un monde maîtrisé. Au XIXe siècle, la métaphore cynégétique fournit également un modèle à l’activité herméneutique propre à la sémiologie médicale. Reprenant, dans son Introduction à l’étude de la médecine expérimentale (1865), la comparaison de Bacon entre investigation scientifique et chasse, Claude Bernard fait ainsi des « observations » le « gibier » à traquer, et définit deux protocoles distincts de découverte, selon que la chasse obéisse au principe de la trouvaille, de la rencontre fortuite (un gibier qui « se présente quand on ne le cherche pas, ou bien quand on en cherche un d’une autre espèce », p. 266), ou de la « battue », de la rencontre provoquée par une expérience (un « gibier » que la méthode expérimentale aura pour fonction de « faire lever », p. 275). Toujours utilisée en contexte clinique, l’expression « histoire de chasse », qui désigne un cas exceptionnel (un « mouton à cinq pattes ») ou un cas particulier pris dans les rets du vécu, témoigne de la prégnance de ce modèle, mais aussi des dangers liés à la séduction de la traque.
Car la chasse ne s’adresse pas qu’à la raison. Sa logique est également sensuelle. La traque du sens suppose également un plaisir de la traque pour elle-même. Dans Chat en poche, Antoine Compagnon souligne ce que cette lecture syntagmatique a d’érotique en tant qu’elle est chasse justement, désir sans fin (p. 76-77). C’est retrouver des métaphores de la lecture à l’époque renaissante qui faisait du sens un gibier que le chasseur-lecteur devait poursuivre, non en vue de la prédation mais pour le plaisir de la poursuite. On est donc tenté de l’opposer à la lecture comme « braconnage » défini par Michel de Certeau, selon lequel le lecteur, non expert, non savant, non lettré, ‘exclu’ en un mot, s’approprie un gibier défendu en inventant des tactiques qui contournent les stratégies des écrivains et des institutions et pratique, dans les œuvres, un nomadisme de maraudeurs. Ce sont là deux lectures placées également sous le signe du plaisir, mais l’une a partie liée à la quête (ou à l’enquête ?), l’autre à l’interdit.
La chasse comme modèle herméneutique lie en outre le plaisir de construire (le sens) et celui de détruire. Elle se présente comme un exercice de maîtrise et d’emprise (sur la « proie » visée), mais expose le chasseur aux dangers de la séduction. Dans Dingo, Mirbeau fait ainsi du « tableau de chasse » un principe d’organisation allégorique de l’œuvre et du carnage qu’elle recèle, mais aussi une figure dénuée de sens, un potentiel piège herméneutique pour le lecteur chez un écrivain familier des mystifications.
Le colloque se tiendra les 7 et 8 octobre 2019 à l’Université de la Sorbonne nouvelle.
« Tous ne sont pas présents dans le même temps présent. Ils n’y sont qu’extérieurement, parce qu’on peut les voir aujourd’hui. Mais ce n’est pas pour cela qu’ils vivent en même temps que les autres. » (Ernst Bloch)
Pour le philosophe Ernst Bloch, réfléchir à la notion de « non-contemporanéité » consistait à tenter d’expliquer la montée du nazisme dans son pays autrement que par la simple résurgence d’une pensée réactionnaire ou rétrograde. La « force » de ce « passé qui s’immisce » lui permettait d’interroger les raisons de la non-concomitance d’existences pourtant contemporaines, et ainsi de restituer toute sa complexité au sentiment d’appartenance au temps présent. « L’époque d’un homme », écrivait-il, ne peut être séparée de sa situation dans le monde (« l’endroit où il se trouve en chair et en os ») et surtout au sein de la société (« la classe à laquelle il appartient »[1]). La « contemporanéité » impliquerait donc tout autant une cohabitation qu’une simultanéité, cohabitation à interpréter en termes idéologiques, politiques, mais aussi strictement temporels. La réflexion d’Ernst Bloch nous conduit en effet à admettre la réalité d’existences parallèles, dont la brutale rencontre serait selon lui la cause profonde des grands conflits.
Être contemporain(s) relèverait par conséquent d’une réalité et d’un imaginaire à la fois niés et partagés. Niés parce que la « contemporanéité » suppose l’exclusion, aveugle ou revendiquée, d’une partie de ceux dont nous partageons l’existence sans le savoir ou sans le voir (à l’échelle d’une ville, d’un pays, etc., – d’un espace malgré tout commun) ; partagés dans la mesure où la « non-contemporanéité » n’empêche pas l’interaction et le sentiment d’une appartenance commune (à l’image de celle que postulent les historiens lorsqu’ils parlent d’une « époque » contemporaine, et supposent une forme d’homogénéité des mentalités, le sentiment d’appartenir collectivement à un « moment » donné). Le contemporain se distinguerait ainsi de l’actuel par sa capacité à durer (notamment par le biais de représentations partagées), et à problématiser la présence (au sens d’être au présent). Il caractériserait ce lien, à la fois réel et imaginaire, tissé entre une conscience (individuelle ou collective) et le « moment » présent.
Si le contemporain n’est pas l’actuel, il entretient en revanche des rapports étroits avec l’idée de modernité. À partir du romantisme, comme le rappelle Judith Schlanger, « l’universel littéraire est devenu disparate et l’universel humain historique ». Le chef d’œuvre cesse de n’être « d’aucun temps et d’aucun lieu »[2]. La modernité, comme le laisse entendre Stendhal dans Racine et Shakespeare, suppose l’adéquation de l’œuvre à son époque et à son public. En même temps qu’une exigence de contemporanéité, elle introduit dans le domaine esthétique l’idée de péremption, et invite à s’interroger sur ce qui peut garantir à l’œuvre sa « fraîcheur »[3]. Or, celle-ci ne peut être réduite à son actualité ou sa conformité au « goût du jour ». Pour Judith Schlanger (et Georg Lukács avant elle), elle est au contraire le reflet de « l’existence dyschronique du chef-d’œuvre », « une propriété esthétique qui est aussi une anomalie historique »[4]. Le chef d’œuvre, qui « appartient […] à des dimensions temporelles divergentes »[5], serait donc capable de faire le lien entre ceux qui « ne sont pas présents dans le même temps présent », selon une perception qui ne serait plus classique (un universel), mais contemporaine (une présence paradoxale, supposant que les œuvres « sont actuelles dans le temps de la mémoire »[6]).
Après s’être intéressé à la « mémoire de l’événement » et aux « fictions du futur », le séminaire du CERIEL interrogera ce que signifie le contemporain – être contemporain(s) – et travaillera sur la pluralité des rapports au monde engagés par ce sentiment d’appartenance. Le séminaire de l’année 2018-2019 préparera et accompagnera les colloques de l’EA 1337 sur la littérature contemporaine (« Le roman contemporain », CERIEL/Europe des Lettres ; « Les Écritures du quotidien dans littérature contemporaine », CERIEL/ Interactions Culturelles et Discursives – Université de Tours/ Université de Chicago, USA), mais il prendra néanmoins pour centre de sa réflexion la question de cette « échelle » du contemporain induite par les réflexions d’Ernst Bloch et de Judith Schlanger : échelle géographique et géopolitique (qu’est-ce qui est contemporain, pour qui ?) ; échelle temporelle également (pourquoi une œuvre peut-elle être contemporaine ? Peut-elle le devenir ou l’avoir été ?). En portant sur le temps long (XIXe-XXIe siècles) et sur ce qui peut déterminer le sentiment du contemporain, cette réflexion participe en outre de la volonté d’élaborer une « histoire littéraire intégrée » soucieuse de questionner les frontières et les catégories utilisées pour penser l’histoire de la littérature.
Pistes de réflexion
1/ Le contemporain comme « enjeu critique au sens littéral » et comme « prosopopée du siècle »[7]
Quels sont les critères permettant d’établir la représentativité ou l’exemplarité du choix opéré par le critique ? Quelle axiologie est véhiculée par ce choix (le contemporain contre « l’actuel », le « périssable » ; les « antimodernes » comme envers du contemporain, mais aussi comme reflet d’une « non-contemporanéité » inhérente au sentiment de modernité) ? Que dit ce choix du rôle voire de la « mission » attribués à l’œuvre littéraire, des conceptions esthétiques en présence ?
2/ Contemporanéité et atemporalité du chef-d’œuvre
Dans quelle mesure une œuvre « classique » peut-elle être « contemporaine » ? La spécificité du chef d’œuvre est-elle alors, comme le laisse entendre Judith Schlanger, de résorber la « non-contemporanéité » en « paradoxe »[8] ? Cela revient-il à dire que la « contemporanéité » d’une œuvre est tributaire de sa capacité à susciter des « lectures actualisantes »[9] – et qu’elle relève in fine d’une forme d’atemporalité ?
3/ L’instant critique du contemporain
Est-il possible d’être l’historien ou le critique de ses contemporains ? La cartographie d’un espace contemporain peut-il s’effectuer en présence, ou bien faut-il, comme se le demande Sainte-Beuve, « attendre qu’on soit loin de l’édifice […] pour l’admirer ? » [10] Le « présentisme » qui serait, selon François Hartog, le « régime d’historicité » aujourd’hui dominant permet-il une contemporanéité de la littérature et de sa critique, ou n’est-il dans ce domaine qu’un trompe-l’œil, un biais amenant à confondre le concomitant et le contemporain ?
Indications bibliographiques
Agamben, Giorgio, Qu’est-ce que le contemporain ? [2005], trad. italien Maxime Rovere, Paris, Rivages, 2008.
Bloch, Ernst, « La non-contemporanéité et le devoir de la rendre dialectique » (mai 1932), dans Héritages de ce temps, Pais, Klincksieck, « Critiques de la politique », 2017.
Chotard, Loïc, « Sainte-Beuve au risque du contemporain », Romantisme, 2000, n°109 (Sainte-Beuve ou l'invention de la critique), p. 69-80.
Citton, Yves, Lire, interpréter, actualiser. Pourquoi les études littéraires ?, Paris, Éditions Amsterdam, 2007
Hartog, François, Régimes d’historicité. Présentisme et expérience du temps, Paris, Le Seuil, 2003.
Huet-Brichard, Marie-Catherine, Meter Helmut (éds), La polémique contre la modernité. Antimodernes et réactionnaires, Paris, Classiques Garnier, 2011.
Marx, William, Les arrière-gardes au XXe siècle : l'autre face de la modernité esthétique, Paris, P.U.F., 2004.
Ruffel, Lionel (éd.), Qu’est-ce que le contemporain ?, Éditions Cécile Defaut, 2010.
Schlanger, Judith, La Mémoire des œuvres, Verdier, 2008 (1992).
Viart, Dominique, « Histoire littéraire et littérature contemporaine », Tangence n° 102, 2013, p. 113–130.
Viart, Dominique, « Au risque du contemporain. Pour une critique des enjeux », Les Temps Modernes n° 672, 2013/1, p. 242-253.
Viart, Dominique, « Historicité de la littérature : la fin d'un siècle littéraire », ELFe XX-XXI Études de littérature française des XXe et XXI siècles n° 2 : Quand finit le XXe siècle ?, 2012, p. 93-126.
[1] Ernst Bloch, « La non-contemporanéité et le devoir de la rendre dialectique » (mai 1932), dans Héritages de ce temps, Pais, Klincksieck, « Critiques de la politique », 2017, p. 82.
[2] Judith Schlanger, La Mémoire des œuvres, Verdier, 2008 (1992), p. 127.
[3] Ibid., p. 127.
[4] Ibid., p. 134.
[5] Ibid., p. 132.
[6] Ibid., p. 134.
[7] Loïc Chotard, « Sainte-Beuve au risque du contemporain », Romantisme, 2000, n°109, p. 72.
[8] Judith Schlanger, op. cit., p. 132.
1. Mercredi 2 octobre, 18h, salle 409 : Séance d’actualité. Laurent Demanze (Université de Grenoble) présente son livre Un nouvel âge de l’enquête (Corti, 2019)
L’« âge de l’enquête » : c’est la formule d’Émile Zola qui décrit là un XIXe siècle emporté par une fièvre d’investigations et de déchiffrements. Une formule d’actualité au XXIe siècle, au moment où s’ouvre un nouvel âge de l’enquête : les écrivains contemporains investissent à nouveaux frais le terrain social, à la croisée du reportage, des sciences sociales et du roman noir.
C’est cette passion renouvelée du réel que Laurent Demanze voudrait saisir ici, à travers les gestes de l’enquête. S’étonner, explorer, collecter, restituer, poursuivre, suspendre : cette liste ouverte d’opérations concrètes, de pratiques et d’expérimentations dessine le cheminement même de l’enquête. Elle dessine également les moments d’une dynamique, inlassable et inachevable, qu’empruntent aujourd’hui les écrivains pour élucider, nommer et raconter l’épaisseur du monde, en donnant voix aux vies silencieuses.
2. Mercredi 16 octobre, 18h, salle 409 : Conférence sur Tristan Corbière, dans le cadre du programme de l'agrégation (Henri Scepi, Université Paris-Sorbonne Nouvelle): « Vers, phrase et voix dans Les Amours jaunes »
3. Jeudi 14 novembre, 18h, salle 409 : conférence d'Adrien Cavallaro (Université de Grenoble) sur la réception de Rimbaud et Lautréamont.
« Lautréamont, Rimbaud et nous : construction, sédimentation, usages d’un paradigme surréaliste »
On sait quel poids les figures de proue du groupe surréaliste, dès les années 1920, ont donné à Rimbaud et à Lautréamont dans la redéfinition polémique d’une histoire de la modernité, au point que ce couple, encore impensable au début du siècle, a très vite pris les dimensions d’un stéréotype critique qu’il serait pourtant fécond d’interroger à nouveaux frais. Car c’est moins dans le recensement de la référence massive aux deux poètes (qui confirmerait une perspective traditionnelle selon laquelle Breton et Aragon auraient progressivement nourri des sentiments mêlés à l’égard de Rimbaud, tout en conservant une indéfectible fidélité à Lautréamont), que dans l’examen des modalités critiques et poétiques de leur contemporanéisation conjointe, que se donne à voir l’originalité de cette promotion des Dioscures de la modernité poétique. On proposera ici une approche de ce processus de contemporanéisation à partir d’une mise en regard des usages des œuvres de Lautréamont-Ducasse et de Rimbaud par les surréalistes de l’entre-deux-guerres, qui ne coïncident pas nécessairement avec le discours critique sur des poètes qui donnent prise, par ailleurs, de façon très diverse, au déploiement d’un imaginaire biographique ou pseudo-biographique essentiel à la définition d’une participation à l’« aventure » moderne.
Adrien Cavallaro est maître de conférences à l’Université Grenoble Alpes. Spécialiste des questions de réception et de la poésie du XIXe siècle, en particulier de Rimbaud et de Verlaine, il a consacré un ouvrage à la réception rimbaldienne (Rimbaud et le rimbaldisme, Hermann, 2019) et codirige le Dictionnaire Rimbaud, à paraître chez Classiques Garnier. Il s’intéresse également aux œuvres de Victor Segalen, qu’il contribue à éditer pour la « Bibliothèque de la Pléiade », ainsi que d’Aragon.
4. Mardi 14 janvier, 14 h, salle 409 : « Esquives et synesthésies : le corps recomposé de L’Homme foudroyé de Cendrars », Conférence donnée dans le cadre du programme de l'agrégation et ouverte à tous (Christine Le Quellec Cottier, Université de Lausanne).
La chronique mémorielle, parue en 1945, sera abordée en tant que corps-texte, un espace mobile de recomposition de soi, à l’image de ces livres « constitués en arrachant une page par-ci, une page par-là » que Blaise Cendrars se plait à évoquer. Cependant, à ce choix de l’esquive – dont la fragmentation, le prélèvement textuel ou encore le commentaire sont des marques explicites – se superpose un réseau de correspondances qui façonne une unité autre, le portrait synesthésique de ce « je » protéiforme.
Nous postulons que ce double mouvement de dislocation et de composition forge à son tour une poétique subversive qui se déploie sans avoir besoin de se fixer, de s’identifier, celle que nous voulons nommer une « poétique du neutre ».
Christine Le Quellec Cottier anime le site Constellation Cendrars.
5. Jeudi 13 février, 18h, salle 409 : Conférence de Jean-Michel Gouvard (Université de Bordeaux Montaigne).
« Jules Verne, Walter Benjamin et le XIXe siècle »
A quoi est dû le succès de Jules Verne ? La réponse à cette question conduit le plus souvent à lui reconnaître des qualités littéraires qui ne lui ont toutefois été attribuées que rétrospectivement, après la Seconde Guerre mondiale, ce qui soulève un sérieux problème épistémologique. M’inscrivant dans la lignée des travaux de Walter Benjamin, que je cherche néanmoins à renouveler et à prolonger, je propose une tout autre explication du « phénomène Jules Verne ». Si l’auteur des Voyages extraordinaires a connu un incontestable succès populaire tout au long du XXe siècle, c’est parce qu’il a su inscrire dans son univers romanesque ce que j’appelle, en reprenant un concept de Benjamin, « le rêve collectif » propre non seulement au Second Empire et à la Belle Époque, mais à la société moderne et industrielle dans son ensemble. C’est à identifier ce « rêve » et les modalités selon lesquelles il s’incarne dans l’œuvre de Verne, par les motifs qu’il choisit et par les procédés qu’il invente, que sera consacrée cette conférence.
6. Jeudi 12 mars, 18h, salle à préciser : Conférence de Maxime Decout (Université d'Aix-Marseille).
« Romain Gary et le devenir autre »
Comment ne pas être soi ? Comment devenir un autre ? C’est cette question, éminemment vitale, qui anime de bout en bout l’écriture de Romain Gary, jusqu’à l’invention d’Ajar. La création de ce nouvel écrivain a leurré le monde des lettres et nous amène à nous demander ce qui nous permet de reconnaître la voix d’un auteur. Car le Ajar de ses premiers lecteurs n’est plus le même que celui que nous lisons aujourd’hui après la révélation de l’affaire. Pouvons-nous cerner, dans toute sa pluralité, la figure de ce contemporain capital mais mésestimé, voire fantôme ? Car malgré cette démonstration en acte de la nécessité d’une constante réinvention de soi, Gary fait encore figure de marginal dans les Lettres françaises au moment où il fait son entrée dans la prestigieuse collection de la Pléiade. Comment expliquer ce retard et ce décalage quant à la prise en compte d’une œuvre qui a eu tant et tant de lecteurs ? D’autant que l’écriture de Gary se nourrit toujours de l’actualité la plus brûlante, de l’Histoire en marche. Elle est soutenue par un regard lucide et sans compromission sur la situation internationale, chez celui qui a fait carrière dans la diplomatie. La pensée romanesque de Gary est plus que jamais d’actualité, elle qui a fait de l’identité et de ses cloisons, du fanatisme et des ghettos identitaires, ce contre quoi elle lutte avec vigueur.
9h30 Conférence d’ouverture par le directeur de LILPA (UR 1339, Université de Strasbourg)
Rudolph SOCK : « Faut pas charrier ! » L’aptonymie, une science exacte ? Le point de vue d’un linguiste
10h00 Michèle Finck : « De bonne foi » : la poésie du pinson
10h20 Patrick Werly : Le vers libre au cinéma
10h40 Brigitte Dodu : L’Épaisseur du signe chez Mallarmé
11h00 Pascal Maillard : « Le Colin », une version cachée du « Plat de poissons frits » de Francis Ponge
12h Pause déjeuner (buffet, traiteur « Chez soi ») : fritures du 1er avril, canulars farcis, tartes à la crème, fraises fraîchement cueillies
Session 2 : Déranger les genres : le récit fantastique
13h00 Emmanuelle Sempère : « Ghosts forever »
13h20 Yann Frémy : la littérature de l’épouvante
13h40 Guy Ducrey : Face à la CATASTROPHE, et contre la NIAISERIE ambiante : l’incrédule Décadence
Pause hydroalcoolisée
14h20 Muriel Ott : Un conte de Noël au Moyen Âge : Le père Noël était Arthur
14h40 Philippe Clermont : « Faire rente » : la fortune du petit bougnat dans la littérature de jeunesse
15h00 Bertrand Marquer : « Enfants de la balle » : la littérature footballistique, une écriture qui va droit au but ?
15h20 Charlène Walther : Fictions d’enfance : la littérature des benjamins
15h40 Tatiana Victoroff : De Guerre et paix à Mon père est gay : présence de Tolstoï dans le magazine Têtu
16h00 Enrica Zanin : L’écriture gnomique chez Boccace et Nabokov
16h20 Britta Benert : « B Initials ». Ecrire et chanter entre les langues
16h40 Yves-Michel Ergal : Proust et Tronchet : Un amour de Jean-Claude Tergal
17h00 Corinne Grenouillet : « Des pavés dans la mare » : usines en textos et écritures au télétravail
17h20 Anthony Mangeon : la littérature alimentaire fait-elle grossir ? Papillotes, baci et fortune cookies
18h00 Apéro festif et face time
Dégustation de bières du monde (Corona, Desperados, Mort Subite, Bon-Secours, Doubs-Loureuse, Danse Macabre…)
Volume en préparation
Est-il possible, pour un lecteur professionnel (journaliste, critique, professeur, universitaire, écrivain) d’être critique de la littérature de son temps et de dégager, au sein de l’actualité, par nature éphémère, ce qui relève du « contemporain » c'est-à-dire ce qui est amené à durer, car représentant une époque ? Telle est la question que cette journée d’études souhaiterait aborder.
La critique littéraire telle que la concevait Sainte-Beuve impliquait en effet, pour être probante, une distance que ce « contemporain retardé[1] » associait à un recul historique. En se demandant s’il fallait « attendre qu’on soit loin de l’édifice […] pour l’admirer[2] », Sainte-Beuve tendait cependant à confondre l’admirable et le significatif, et superposait ainsi plusieurs types de critique.
Or, il y a lieu de maintenir une distinction entre les différentes catégories de « lecteurs professionnels », dont le statut et la fonction induisent un rapport particulier aux productions littéraires qui leur sont contemporaines, et des pratiques différenciées de la relation critique.
Les journalistes ont la nécessité de suivre l’actualité, et leur production dans la presse est limitée par des contraintes de format (limitation de la taille des chroniques), d’information (nécessité de signaler l’existence d’un livre plus que d’en fournir une étude dûment argumentée), voire de promotion (les livres reçus par service de presse, nécessairement envoyés par de grands éditeurs, ont seuls quelque chance d’être chroniqués). Ces contraintes empêchent qu’un journaliste littéraire puisse faire, au sein de la masse « industrielle » des productions de son temps, des choix totalement indépendants. Comment, dans ces conditions, évaluer la représentativité d’une œuvre, et dresser une cartographie fidèle du contemporain ?
Les chercheurs travaillent, de leur côté, sur un temps plus long, théoriquement libéré de l’obligation de « coller à l’actualité ». Toutefois se sont développés au sein de l’Université de nombreux travaux consacrés aux œuvres du XXIe siècle. Ceux qui se désignent comme des « contemporanéistes » se sont élevés contre les préjugés qui ont longtemps entravé l’éclosion des études littéraires contemporaines. Contre Sainte-Beuve, Dominique Viart assure que les chercheurs de l’Université doivent s’atteler à la lecture des textes d’aujourd’hui avec les outils théoriques et techniques qui sont les leurs. Ainsi seront-ils à même de dessiner les contours d’une littérature qu’il qualifie de « déconcertante », car son caractère novateur bouleverse les habitudes de lectures, et qui est, finalement, la seule méritant consécration (par son insertion dans des programmes de lecture ou des recommandations adressées aux étudiants et aux scolaires). En somme le chercheur se verrait assigner la tâche de déterminer les contours du panthéon littéraire de demain. Dominique Viart associe ainsi l’étude du contemporain à l’identification et à la promotion des œuvres destinées à durer, mais il la libère du recul historique prôné par Sainte-Beuve. Mieux : il en inverse la logique, en postulant que l’étude du contemporain est l’instrument d’une photographie de l’avenir, et non d’un bilan rétrospectif.
Dans un cas comme dans l’autre, c’est son inscription dans le temps long qui distinguerait le contemporain de l’actuel. Percée vers le futur ou passé décanté, le contemporain établit quoi qu’il en soit un rapport paradoxal avec le temps présent. Quel est par conséquent l’instant critique du contemporain ? Suppose-t-il forcément un décrochement de l’actualité ?
Les intellectuels et les écrivains constituent enfin une troisième catégorie de critiques, dont la parole peut connaître une audience d’un autre type. Leur rapport au contemporain peut être mû par la défense d’intérêts propres, voire pro domo, et invite à s’interroger sur l’axiologie, explicite ou implicite, qui soutient tout jugement critique. Le cas du critique-écrivain permet en outre d’intégrer un autre rapport au temps que celui du journaliste et du critique universitaire. Pour l’écrivain, le sentiment de la contemporanéité peut en effet prendre explicitement la forme d’un compagnonnage littéraire posthume, qui dessine une autre histoire du contemporain. Bien des écrivains du XXIe siècle placent de fait au cœur de leurs œuvres un dialogue avec leurs homologues du XXe siècle (Mathias Enard dialogue avec Cendrars, Pierre Michon avec Rimbaud ou Lydie Salvayre avec Bernanos) et soulignent ainsi la pertinence et la « contemporanéité » de textes du siècle passé. Que révèle cette pratique de notre époque et de la littérature d’aujourd'hui ?
Ce sont à ces questions que cette journée d’études souhaiterait apporter des éléments de réponse, en explorant en priorité les deux grandes pistes suivantes :
1) Les différentes relations critiques au contemporain (journaliste, chercheur, écrivain)
Quelles missions d’identification ou de promotion du « contemporain » les lecteurs professionnels se donnent-ils ? Comment explicitent-ils cette relation critique ? Que nous disent de leur propre époque les lectures et les choix réalisés par eux ?
2) Le contemporain dans le temps :
Où situer le contemporain, dès lors qu’il échappe au présent ? À quel moment la critique du contemporain est-elle possible ? Le contemporain prend-il toujours sens dans un avenir (celui d’où parle le critique rétrospectivement ou d’où il anticipe le panthéon du futur) ? Une critique d’actualité peut-elle également cerner le contemporain ?
Veuillez adresser votre proposition à :
corinne.grenouillet@unistra.fr
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L'Institut de littérature comparée et son groupe de recherches L'Europe...
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