Côme de La Bouillerie soutiendra sa thèse de littérature française,...
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Comment dégager, au sein de l’actualité littéraire, par nature éphémère, ce qui relève du « contemporain » c'est-à-dire ce qui est amené à durer, car représentant une époque ?
Comment définir le “contemporain” en littérature d’expression française ? Qui est le plus apte à le faire : les critiques, les écrivains ou les lecteurs ? Si cette question est particulièrement prégnante dans les études portant sur la littérature du XXIe siècle, elle se pose depuis le XIXe siècle, chaque époque, voire chaque communauté intellectuelle ou culturelle, souhaitant circonscrire et promouvoir les livres qui feront date et marqueront le panthéon de demain. À l’heure des blogs et des vlogs d’amateurs, à l’heure de l’intelligence artificielle et de la création assistée, qu’en est-il de la critique littéraire ?
Si « l’ostentation des corps sanglants, souffrants et macabres semble constituer l’une des caractéristiques de la littérature et des arts européens du XVIe siècle et XVIIe siècle », liée en partie à un contexte violent de guerres de religion puis de mise en place de l’État moderne, qu’en est-il aujourd’hui dans nos sociétés contemporaines marquées par une hypermédiatisation de la violence ? L’ouvrage cherche à identifier et à interroger la représentation des corps meurtris, souffrants et sans vie dans la littérature et dans les arts actuels du monde occidental. En effet, la violence faite au corps et la fascination, parfois morbide, que procure le spectacle de la souffrance et de la mort se retrouvent dans bon nombre de disciplines, comme la peinture, le cinéma, le théâtre, la danse ou la performance, mais aussi en littérature, dans le roman policier, le roman autobiographique ou la littérature de jeunesse ou encore dans les séries télévisées, la bande-dessinée, etc. Malade, blessé, torturé, mutilé, mort…, partout où il est évoqué et/ou exhibé, le corps est susceptible de dévoiler sa vulnérabilité. Mais quel sens accorder à une telle représentation des corps dans une époque où les contenus violents sont quasi-omniprésents ? Quels sont les enjeux de la mise en récit et de la mise en scène du corps violenté ? Que nous dit ce corps sur le rapport à soi, aux autres, au monde ? Quelle est sa portée esthétique et politique ?
Corps meurtris, souffrants et sans vie dans la littérature et les arts contemporains, sous la dir. de Régine Atzenhoffer et Erwan Burel, Bruxelles, Berlin, Bern, New York, Oxford, Warszawa, Wien, 2022, 634 p., 9 ill. en couleurs, 2 ill. n/b.
Scientifique, impersonnelle, désengagée : aucun de ces adjectifs ne
convient à l’observation entre 1750 et 1850. Ce qu’on appelait alors
l’« esprit d’observation » était un talent universel, dont l’existence
menaçait le consensus scientifique. Dans la philosophie sensualiste,
plus un individu est observateur, plus il se perfectionne au contact du
monde : l’observation ne dévoile la vérité qu’en faisant diverger les
esprits. Pour résoudre ce dilemme, la méthodologie se fit politique et
nourrit une pensée contestataire, de la bohème littéraire du XVIIIe
siècle aux socialistes du XIXe. L’invention de l’objectivité finit par
clore les débats, vers 1850, en annulant le génie d’observation au
profit d’une substitution conventionnelle entre savants. Néanmoins,
l’ancien schéma méthodologique se maintint dans la littérature réaliste.
L’auteur observateur définit un réel commun à partir d’une négociation
critique sur les talents. Cette littérature réaliste constitue donc une
proposition épistémologique originale, qui interpelle encore nos
sciences humaines.
Au début du XVIIe siècle, alors que le commerce transatlantique des esclaves est en plein essor, une cité-État voit le jour en Afrique de l’Ouest : le Dahomey, actuel Bénin. Au fil des décennies marquées par de profonds bouleversements, ce petit territoire va prospérer et s’imposer comme royaume important et redouté. Mais à quoi tient cette ascension ? Très certainement à la mise en œuvre d’une idée politique sans précédent, pouvant être désignée par la notion d’assemblage. Dans la culture dahoméenne naissante, cette conception radicalement nouvelle détermine aussi bien la représentation de l’individu, la structuration des rapports sociaux, que l’art et la religion. Ainsi, des dieux venus de toute part sont intégrés, assemblés et réinterprétés au sein d’une organisation parfaitement adaptée à l’époque instable que le royaume traverse. Cette réinterprétation a pour nom le vodoun.
Arthur Rimbaud (1854-1891) fut ce « météore » littéraire, devenu le symbole de toutes les révoltes. Au-delà de l’itinéraire personnel, il reste une œuvre à tout jamais exceptionnelle, dont l’ombre portée sur tous les poètes à venir est immense.
Dans le contexte des dictatures totales du XXe siècle, l’écrivain allemand Hans Magnus Enzensberger a constaté l’émergence de nouveaux protagonistes de l’histoire. En rupture avec les héros traditionnels, ces derniers se caractérisent avant tout par la renonciation qui aboutit à leur retrait à l’égard du pouvoir politique. Sont ici évoqués les suicides de Czeniakow et de Rommel, l’effacement du Hongrois Kádar, de Suárez dans l’Espagne de la transition ou de Modrow, l’Allemand de RDA.
Le concept de « héros du retrait » semble a priori pouvoir être élargi à toutes les expériences de la guerre au XXe siècle mais aussi au processus de décolonisation, à la contestation de valeurs traditionnelles, à la mise à l’écart volontaire de la vie sociale au sein de sociétés démocratiques. On peut également reconsidérer la définition d’Enzensberger d’un point de vue littéraire : sont alors convoqués les héros de fiction de Janic Antic, Tomi Ungerer et de J.M.G. Le Clézio. Sous l’influence de l’histoire, le héros perd certaines de ses caractéristiques fondamentales : place aux personnages gris.
Se désengager, refuser, se retirer peut aussi être vécu comme une nouvelle forme d’héroïsme face à un conformisme aliénant et, à terme, destructeur. Cet ouvrage pluridisciplinaire, ne cède pas à la mode du « déclinisme » mais il prend acte d’évolutions accompagnant l’entrée de l’Europe dans l’ère de la mondialisation libérale.
Les coordinateurs de l’ouvrage, Danièle Henky et Michel Fabréguet, ont précédemment exploré la question de l’héroïsme dans deux ouvrages de la même collection consacrés aux héros référents du passé et aux héros de la Déportation.
Avec les contributions de
J. Antic (Univ. de Strasbourg), S. Baby (Univ. de Bourgogne Franche-Comté), S. Bertrand (Univ. de Strasbourg), C. Dhennin-Lalart (Univ. de Lille), M. Hausser-Gans (Univ. de Strasbourg), C. Horel (Univ. Paris I), A. Mangeon (Univ. de Stasbourg), A. Schneider (Univ. de Caen), I. Turina (Univ. de Bologne), T. Willer (Musée Tomi Ungerer, Strasbourg), N. Willmann (Univ. de Strasbourg).
Ce qui était dans les années 1940 pure science-fiction (le cerveau « positronique » et les trois premières « lois de la robotique » dans les récits d'Isaac Asimov) a acquis au fil des avancées de la recherche et de la technologie une réalité. Même si, en 2019, les humains technologiquement augmentés, les robots humanoïdes, les intelligences artificielles et les personnalités virtuelles semblent en être aux débuts de leur développement applicatif, se posent déjà à leur propos des questions de nature juridique, éthique et plus largement sociale. On s'interroge sur la possibilité de protéger les travailleurs de l'influence des robots, sur la responsabilité juridique des IA, sur les droits qu'un robot pourrait revendiquer, sur la robotisation de la justice.
La convergence des mondes des sciences et des humanités, en incluant les univers de la littérature, du droit, de la science et de l'ingénierie s'impose d'elle-même. Cela, afin d'aider à penser une évolution de notre société vers un système viable et durable où évolueront êtres humains et robots autonomes, tangibles ou virtuels. L'ambition principale de cet ouvrage est de conduire à une prise de conscience. Une vision pluridisciplinaire des enjeux liés à la transformation digitale de notre monde doit être adoptée par les acteurs et décideurs d'aujourd'hui et de demain.
Alors qu’on vient de commémorer les 50 ans de son assassinat, cet essai biographique revient sur l’itinéraire intellectuel, spirituel et politique du pasteur noir américain Martin Luther King Jr. S’appuyant sur de nombreux textes encore inédits en France, il tente de reproduire le plus fidèlement possible l’existence et la pensée d’une figure unique de l’Amérique du xxe siècle, prix Nobel de la paix en 1964.
D’où Martin Luther King Jr. venait-il, quel élève était-il, et quel genre de pasteur devint-il ? Fut-il vraiment l’auteur de tant de livres et de discours ? Quelles étaient ses ambitions politiques ? Avait-il une vocation de martyr, de prophète ? Enfin, quel héritage a-t-il laissé, et à qui ?
Au fil de pages très bien documentées, s’esquisse un portrait contrasté, loin des hagiographies habituelles, où l’étudiant plagiaire cède la place à un orateur et un stratège politique hors pair ; où le mari infidèle s’efface derrière l’infatigable militant ; où l’interlocuteur privilégié des puissants dialogue passionnément avec les plus humbles et les plus démunis.
Un livre nécessaire, pour découvrir le vrai visage de Martin Luther King Jr., et peut-être le vrai visage de l’Amérique.
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S’il est une notion commune à l’histoire et à la littérature, c’est sans nul doute l’événement[1]. Depuis quatre décennies, elle s’est trouvée au cœur de nombreux débats historiographiques, philosophiques et littéraires, ne cessant de faire « retour » au cours du « tragique XXe siècle[2] ». Elle est même devenue un objet de réflexion partagée à l’ensemble des sciences sociales, jusqu’aux plus éloignées a priori de cette question, telle l’anthropologie, qui vise prioritairement la mise au jour de l’activité ordinaire et quotidienne des hommes et non l’exceptionnel[3].
Loin de connaître une « fin de l’histoire » consommant la suprématie d’un modèle libéral régnant désormais sans partage après la chute du Mur de Berlin et l’effondrement du bloc soviétique[4], le XXIe siècle aura expérimenté à son tour, à compter du 11 septembre 2001, les effets de « l’événement-monstre » et de sa médiatisation immédiate. Nous sommes ainsi entrés, selon l’historien François Hartog, dans un nouveau « régime d’historicité » : en effet, « [l]e 11 septembre 2001 pousse à la limite la logique de l’événement contemporain qui, se donnant à voir en train de se faire, s’historicise aussitôt et est déjà à lui-même sa propre commémoration[5] ».
Les débats et définitions consacrés à l’événement sont multiples et des articles et des ouvrages existent qui, dans leur richesse et leur complexité, ont désormais valeur de synthèses reconnues[6]. Il convient pourtant de rappeler rapidement le sens de la notion d’événement. En dérivant du latin classique evenire signifiant tantôt « avoir une issue, un résultat » et tantôt « arriver, se produire », le mot événement a pris deux sens principaux dont le premier : « fait auquel aboutit une situation », voire « dénouement » (pour l’action théâtrale) est aujourd’hui vieilli. Cette première acception, qui n’est plus actualisée en dehors de la langue et de la littérature des XIXe et début du XXe siècles, faisait de l’événement le point d’arrivée d’une succession chronologique de faits. Le second sens, très large, voire trop large, peut en revanche susciter la déception : l’événement serait en effet à la fois « tout ce qui se produit, tout fait qui s’insère dans la durée », et « un fait d’une importance notable pour un individu ou une communauté humaine ». Les dictionnaires nous sont finalement de peu d’utilité pour préciser le sens de ce terme ; nous y aident davantage les travaux des historiens, qui privilégient l’étude des faits, des dates et des moments de rupture marquant la temporalité humaine. Or, quittant l’une des directions indiquées par l’étymologie du mot, l’intérêt des études historiques s’est déplacé, ces dernières années, de l’amont vers l’aval, c’est-à-dire de l’étude des chaînes de causalité aboutissant à l’événement comme dénouement (le perfectum d’evenit signifiant bien que « quelque chose est arrivé »), vers les conséquences de ce dernier. On s’attache ainsi de plus en plus « à scruter […] non pas “ce qui est arrivé” mais bien “ce qui arrive à ce qui est arrivé” pour reprendre la formule de Pierre Laborie[7] ».
Notre ouvrage a précisément l’objectif de comprendre ce qui arrive, ou plutôt ce qui est arrivé à quelques événements historiques dès lors qu’ils se sont trouvés au cœur de l’écriture littéraire.
[…]
[1] Ce volume est pour partie issu des travaux du CERIEL (Centre d’études sur les représentations : idées, esthétique, littérature EA 1337) consacrés au savoir historique de la littérature et aux mémoires de l’événement. Voir :
ea1337.unistra.fr/ceriel/archives-du-ceriel/archives-2014-2015/ ;
ea1337.unistra.fr/ceriel/archives-du-ceriel/archives-2015-2016/. Pages consultées le 4 juillet 2017
[2] L’expression est de François Dosse, dans Renaissance de l’événement. Un défi pour l’historien : entre sphinx et phénix, Paris, PUF, coll. « Le nœud gordien », 2010, 348 p. Une des parties du livre est intitulée « Le tragique XXe siècle et la redécouverte de l’événement ». Edgar Morin publie « Le retour de l’événement » dans Communications, n° 18, L’Événement, 1972. C’est aussi sous ce titre que Pierre Nora reprend, remanié, son article intitulé « L’événement monstre » in Pierre Nora et Jacques Le Goff (dir.), Faire de l’histoire, tome 1, Gallimard, 1974 et paru lui aussi, une première fois, dans Communications n° 18.
[3] Voir Ignace Olazabal et Joseph J. Lévy (dir.), L’Événement en anthropologie. Concepts et Terrains, Québec, Presses de l’université Laval, 2006. Si nous nous référerons essentiellement aux travaux d’historiens, nous n’ignorons pas l’importance des travaux des philosophes, dont Claude Romano, qui analyse l’événement sous l’angle de la phénoménologie dans L’Événement et le monde, Paris, Presses Universitaires de France, coll. « Épiméthée », 1998, 293 p.
[4] Francis Fukuyama, La Fin de l’histoire et le dernier homme, Paris, Flammarion, 1992, 456 p.
[5] François Hartog, Régimes d’historicité. Présentisme et expériences du temps, Paris, Seuil, 2003, p. 116.
[6] Outre les ouvrages mentionnés ci-dessus, on retiendra en littérature le livre de Sabrina Parent, dont toute la première partie revisite les diverses « approches de l’événement » (Poétiques de l’événement, Paris, Classiques Garnier, 2011, 493 p.). Du côté des volumes collectifs, on peut également citer les actes de deux colloques : Que se passe-t-il ? Événement, sciences humaines et littérature, Rennes, PUR, 2004 (sous la direction de Didier Alexandre, M Frédéric, M. Touret, S. Parent), ainsi que son corollaire, Que m’arrive-t-il ? Littérature et événement, Rennes, PUR, 2006 (sous la direction d’Emmanuel Boisset et Philippe Corno).
[7] Pascale Goetschel et Christophe Granger, « Faire l’événement, un enjeu des sociétés contemporaines », Sociétés & Représentations 2011/2, n° 32, p. 12-13.
Corinne Grenouillet et Anthony Mangeon, « Introduction »
Un livre, un événement
Xavier Bourdenet, « Fixer la trace ? L’événement “1830” dans Le Rouge et le Noir »
Roselyne Waller, « Le Roman inachevé (Aragon) ou la romance de l’événement »
Sylvie Servoise, « Le Guépard ou la révolution n’a pas eu lieu »
Tal Sela, « Les Bouts de bois de Dieu (1960) d’Ousmane Sembène : De l’événement historique à sa dimension argumentative »
L’événement au miroir d’un corpus
Patricia Principalli, « La mémoire de l’événement dans les fictions historiques de jeunesse »
Sabrina Parent, « Événement et Littérature (et histoire) »
Catherine Brun, « Histoire, ignorances, résurgences, oublis :quel(s) savoir(s) pour quelle(s) mémoire(s) de la guerre d’Algérie ? »
Rocío Munguía Aguilar, « Configurations mémorielles de la traite et de l’esclavage dans la littérature antillaise contemporaine : (ré)écrire l’événement au féminin »
Corinne Grenouillet, « Mémoire de l’événement ouvrier : témoignages etromans français de la désindustrialisation au XXIe siècle »
Transmission littéraire et artistique
Virginie Brinker, « La transmission littéraire face à la médiatisation du génocide des Tutsis au Rwanda »
Ninon Chavoz, « L’homme au casque de verre : perspectives de l’afronaute dans la littérature et dans les arts »
Paru en 1909, cet ouvrage racontait l'histoire de la colonisation de l'Afrique puis annonçait tour à tour le déclenchement de la Première Guerre mondiale et le rôle déterminant des troupes coloniales, la mutation de l'empire, l'indépendance des colonies africaines, l'arrivée au pouvoir des socialistes en France et les dangers du « fanatisme musulman ». Marcel Barrière mobilise ici un véritable talent prophétique pour écrire un roman à la croisée de deux sous-genres romanesques : le roman d'anticipation coloniale et le roman de la revanche militaire.
Le travail de passeur qu’Aragon a réalisé pour de nombreux textes étrangers est bien connu, qu’il les ait incorporés dans son écriture même, traduits, préfacés ou promus. À l’inverse, la manière dont ses textes ont à leur tour été reçus à l’étranger demeurait jusqu’à présent incertaine : de l’œuvre-monde à la mondialisation de l’œuvre, il y a donc un pas que Le Rayonnement international d’Aragon se propose de franchir. Outre un retour sur le dialogue avec Maiakovski et Chagall dans Hourrah l’Oural, et une étude de la lecture du Guépard par Aragon, ce numéro des Recherches croisées Aragon/ Elsa Triolet permet de défricher la réception d’Aragon à l’international, de l’Europe (Espagne, Grèce, Italie) au Moyen-Orient (Égypte) et aux Amériques (Argentine, États-Unis, Québec). Mais il présente aussi deux importants inédits : des dessins jusqu’alors inconnus du jeune Aragon et une correspondance entre Elsa Triolet et Ossip Brik au moment du Congrès de Kharkov.
Lorsque le jeune Verlaine appelle à lui l'enfant sauvage des Ardennes – «Venez, chère grande âme, on vous appelle, on vous attend» –, sait-il qu'il va provoquer un de ces chocs dont la violence fera voler en éclats les résolutions sur lesquelles l'auteur des Fêtes galantes voudrait établir l'équilibre de sa vie personnelle, littéraire et publique? Rimbaud ange exterminateur – ange dominateur? – rompt les conventions, brise les âmes, sépare les époux, de même qu'au centre des cercles littéraires les moins académiques où il paraît, il inspire autant de fascination que de répulsion.
Rimbaud-Verlaine, c'est un dialogue séminal attisé par le désir, qu'attestent Romances sans paroles et les poèmes rimbaldiens de 1872 ; un concert de voix que reprend Une saison en enfer ; un air entêté, et désormais distancié, qui se prolonge aussi dans certains textes des Illuminations. De l'un à l'autre passent des fragments de vues et des fragments de vie, tous voués à réorchestrer selon d'autres lois le dire poétique et les formes de la figuration lyrique.
Il nous a semblé que cette aventure à deux, tantôt à l'unisson et tantôt discordante, assoiffée toujours d'une «nouvelle harmonie» et consacrée sans cesse à l'invention d'un «concert d'enfers», méritait d'être offerte d'un seul tenant, en un volume qui rassemble les œuvres de l'un et l'autre et qui rende plus net encore, dans le jeu de l'entre-lecture et l'entre-écriture, ce même désir d'émancipation du langage dans l'espoir de dynamiter l'ennui.
Voici enfin, mis à la disposition du public, les Mémoires d’un des plus grands acteurs et théoriciens critiques de la colonisation française en Afrique. Ancien administrateur devenu directeur de l’École Nationale de la France d’outre-mer (Paris), puis Haut-Commissaire de la République au Cameroun, et enfin Gouverneur général, Robert Delavignette (1897-1976) revient ici sur son parcours, les mutations qu’il imprima à la formation puis à la politique coloniales, et il porte un regard sans concession sur les décolonisations des années 1960. Un témoignage d’une « Afrique française » qu’il fallait donc entendre de trois manières complémentaires : une exploration des ressemblances entre France provinciale et terroirs africains ; une célébration des initiatives politiques africaines, qui donnèrent vie et corps à la France libre, durant la Seconde Guerre mondiale, et participèrent ensuite activement au développement du républicanisme parlementaire dans l’hexagone même ; une insistance, dès lors, sur la légitimité et les apports de la présence africaine, en France, depuis bientôt un siècle et demi.
Le présent ouvrage s’intéresse aux archives de l’œuvre de romanciers ou d’illustrateurs en littérature pour la jeunesse, démarche assez neuve dans ce domaine des études littéraires. L’approche proposée recourt à l’analyse des sources, des témoignages d’auteurs, à l’étude de la genèse du texte ou des images. Il s’agit donc de produire une compréhension des œuvres en s’attachant à leur fabrique. Le travail de documentation de l’écrivain, la variété de ses sources – matérielles ou non, les avants-textes dans leur rapport à l’œuvre éditée, portent la trace du projet d’auteur. Les différents travaux réunis tendent ainsi à dévoiler tout ou partie du processus de création artistique, dans sa complexité, dans sa variété et apportent un éclairage nouveau sur le sens des œuvres considérées.
Introduction : La littérature de jeunesse (XXe – XXIe siècles) et le problème de sa fabrique
Du document historique à la fiction
Archives intimes du texte
Isabelle LEBRAT (Université de Strasbourg) - Carnets, cahiers et brouillons dans la genèse de la fiction
La littérature est hégémonique, dans sa propension à englober dans son orbe des savoirs que d'autres discours ou disciplines - la philosophie, l'histoire, les diverses sciences humaines - aimeraient à distinguer clairement d'elle. Elle est aussi démonique, dans l'emprise qu'elle exerce sur nos esprits.
Les travaux de Laurent Dubreuil ont montré comment l'écriture et la lecture avaient, dans la modernité occidentale, constitué un des ultimes refuges pour l'expérience de la possession. Ils ont aussi exposé comment la domination coloniale s'était elle-même déployée à travers une " phrase de possession " dont les échos continuent de résonner fortement dans les productions langagières et littéraires contemporaines.
" L'empire de la littérature " dit ainsi trois phénomènes imbriqués : un domaine, une puissance, et la capacité qu'ont l'un et l'autre de renaître de leurs propres faillites. Comment s'est littérairement édicté l'empire, comment peut-on s'en sortir, la littérature peut-elle échapper à la politique et la parole esquiver ainsi la parlure ?
Conçu dans un constant dialogue avec Laurent Dubreuil, qui signe ici plusieurs essais et entretiens inédits, cet ouvrage collectif aborde la question de l'indiscipline littéraire face aux différents régimes de savoir, face à la possession coloniale, et dans son rapport à l'histoire. Centré sur les littératures francophones, en particulier africaines et antillaises, il offre une contribution originale aux réflexions contemporaines sur l'apport des théories postcoloniales, et sur les relations entre littérature et pensée.
Quel est le crime suprême que puisse commettre un écrivain ? Le plagiat, pour sûr. Et à quelle extrémité pourrait bien se résoudre un auteur pour masquer les traces de son forfait, ou pire, pour se débarrasser d’une influence trop encombrante ? Au meurtre du père ou d’un pair – c’est souvent tout un. On devient ainsi, selon les circonstances, « l’auteur d’un crime » comme on est « l’auteur d’une œuvre ».
Cet essai s’intéresse donc aux romans des écrivains qui ont mis le plagiat et l’assassinat au cœur de leurs intrigues. Des avant-gardes du début du XXe siècle aux romanciers francophones contemporains, du roman policier au roman de campus, de l’adaptation à la fiction cinématographique, on voit ainsi s’esquisser le portrait-robot de l’écrivain plagiaire ou assassin, simple victime ou, au contraire, bourreau pervers de ses rivaux.
Il apparaît indispensable de s’interroger sur les enjeux mémoriels et les représentations de la déportation, définie dans son acception la plus large comme sanction répressive, persécution et travail forcé, au cours des dernières décennies.
Dans le cadre d’une réflexion pluridisciplinaire, a été abordé en premier le rapport des mémoires de la déportation avec les pratiques cognitives et les revendications victimaires catégorielles dans les différentes aires géographiques et nationales du continent européen. Il n’est pas indifférent en effet de se demander ce que représentent ces enjeux pluriels en relation avec le processus de la construction européenne.
Dans un second temps, s’est également imposée la nécessité d’envisager la question des sources et des vecteurs littéraires, cinématographiques, associatifs, muséographiques et musicaux, sans oublier l’Internet, qui assurent la formation et la transmission de ces mémoires.
Il importait enfin de réfléchir aux moyens techniques et stylistiques utilisés dans le cadre des représentations des acteurs de la Seconde Guerre mondiale, aux buts des auteurs et à la réception des œuvres créées dans des domaines culturels aussi différents que l’art du vitrail, la musique, la littérature et les sciences humaines.
Cet ouvrage est issu d’un colloque organisé en janvier 2013 par le Centre de recherche « Frontières, acteurs et représentations de l’Europe » (FARE) adossé à l’Institut d’études politiques de Strasbourg avec le soutien de « Configurations littéraires » de l’Université de Strasbourg. Il s’inscrit dans la continuité d’une publication antérieure, Grandes figures du passé et héros référents dans les représentations de l’Europe contemporaine, sous la direction des mêmes auteurs, parue chez L’Harmattan (coll. Inter-National, 2012).
LAMEN est-elle devenue une religion? La LAngue du Management et de l’Économie à l’ère Néolibérale, pratiquée initialement dans le monde de l’entreprise et de la gestion, s’est répandue dans toutes les sphères de la société. Elle porte un projet idéologique, celui du néo-libéralisme au pouvoir depuis les années 1980. Elle est présente dans des énoncés variés, au sein de la communication d’entreprise, dans la presse, aussi bien que dans le roman contemporain. L’artiste Jean-Charles Massera s’y réfère ici dans un album tiré de son film documentaire Call Me Dominik. Historiens, littéraires, sociologues, gestionnaires, économistes, politistes et linguistes interrogent deux types de discours: les discours utilitaires du néo-libéralisme tenus dans un but de diffusion ou de communication et les fictions littéraires, qui disent l’économie ou l’entreprise, pour révéler le fonctionnement et opérer la subversion de LAMEN.
ISBN 978-2-86820-526-1 Prix 24 €
Collection Formes et savoirs - Pour commander le livre, cliquer sur l'image:
Lire une interview de C. Grenouillet et C. Vuillermot-Febvet sur La Marseillaise du 20 février 2016
Antoine Perraud, « Détecter et abjurer la langue du marché », Médiapart, 6 mai 2016.
Antoine Perraud, « Tout sur LAMEN », Le Monde selon Antoine Perraud, France-Culture, 1er mai 2016 [émission d'une durée de cinq minutes]
Stéphanie Bertrand, « Corinne Grenouillet et Catherine Vuillermot-Febvet, La Langue du management et de l’économie à l’ère néolibérale. Formes sociales et littéraires », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, 2016, mis en ligne le 23 février 2016, consulté le 31 mai 2016. URL : http://lectures.revues.org/20195
, En attendant Nadeau, n° 29, mars 2017
Premier opus des Trois villes, nouveau cycle romanesque auquel Émile Zola se consacre après Les Rougon-Macquart, Lourdes est plus qu’un récit-reportage sur les pèlerinages provoqués par les apparitions de la Vierge à Bernadette Soubirous. Il est, pour Zola, le roman de la «sou rance humaine » et de la crise de la raison ; il pose à son auteur et à son époque la question de l’impératif psychologique de la foi et impose la nécessité d’une « religion nouvelle ».
Situés aux frontières de la littérature et du document, de la fiction et du témoignage, les récits d’expériences laborieuses ou les témoignages livrés par des ouvriers, des caissières de supermarché ou des intérimaires sont ici l’objet d’une étude littéraire.
Sans négliger l’approche sociologique, cet essai les replace dans l’héritage de la littérature prolétarienne et envisage leur contexte de publication. À l’heure où l’usine désaffectée entre dans le domaine de la littérature, des récits, des nouvelles ou des fragments écrits par des travailleurs invitent le lecteur à comprendre les transformations du travail, voire à faire l’expérience mentale et poétique de l’usine ou du chantier.
Référence complète: Corinne Grenouillet, Usines en textes, écritures au travail, Classiques Garnier, coll. « Études de littérature des XXe et XXIe siècles », n° 46, 2014, 261 p.
Introduction
Traditions d’écriture et nouvelles configurations éditoriales
Quand les « fils du peuple » se sont mis à écrire
Le mouvement prolétarien et son legs
Les écrivains ouvriers depuis les années 1960
La littérature du travail
L’édition militante
Le rôle des blogs et de l’Internet
Écriture « jeune » et produits éditoriaux
Des travailleurs-écrivains ou des écrivains qui travaillent ?
Place dans le champ/le jeu littéraire : quelques parcours
Étudiants et diplômés
Des porte-parole ?
Intellectuels/ouvriers : le brouillage des frontières
La réception des œuvres
Enquêtes et parole collective
Le journalisme d’immersion : témoigner pour autrui ?
Interventions d’écrivains sur zones sinistrées
L’écrivain entre effacement et affirmation de soi
Les ateliers d’écriture : une nouvelle forme d’engagement
Paroles de théâtre
Face à la condition ouvrière : anciens topoï
Routine ou événements ?
Accidents du travail, maladies, morts
Grève
Le corps à la dure : fatigue et cadence
« Perdre sa vie à la gagner »
L’ennui
« La vraie vie est ailleurs »
Les nouveaux topoï du travail
La transformation des conditions de travail
Plans sociaux
Destruction, réduction
Une vision politique
Usine désaffectée, friches industrielles
Intérimaires et précaires
Modèles génériques
Littérature / écriture ordinaire / journalisme ?
L’héritage du modèle prolétarien
La persistance du modèle réaliste
Invasion du commentaire et « langage syndical »
De quelques « tribulations » dans le monde du travail
L’écriture au travail
Chronique, journal, fragment et nouvelles
La description du faire
Questions de styles
« Il faut bien se marrer un peu »
De la poétisation du monde de l’usine à la quête poétique du « manœuvre »
La voix transcrite et la littérature
Conclusion
Bibliographie et sitographie sélectives
Index des noms de personnes
Index des œuvres citées
Comptes rendus et émissions de radio :
Mathilde Roussigné, « Corinne Grenouillet, Usines en textes, écritures au travail. Témoigner du travail au tournant du XXIe siècle », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, 20 mars 2015
Antoine Perraud, « La parole ouvrière a voix au chapitre », Mediapart, 4 avril 2015.
Sébastien Bonetti, « Des mots pour dire le travail et ses souffrances », Le Républicain lorrain, 15 avril 2015.
Entretien de Corinne Grenouillet avec A. Perraud, émission Tire ta langue, France-Culture, 26 avril 2015
Titika Dimitroulia, « Εργασία, ανεργία, αλλοτρίωση. Εργασία και εργαζόμενοι: μαρτυρίες και λογοτεχνικά έργα [Travail, chomage, aliénation I. Travail et travailleurs: Témoignages et littérature.», Le Monde diplomatique (Grèce), 5 juillet 2015.
Morgane Kieffer, « Raconter le travail à l’ère post-industrielle », Acta fabula, vol. 16, n° 7, Notes de lecture, Novembre 2015.
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L’anthropologie de Jean-Loup Amselle se distingue par son attention constante à l’histoire et par sa conception pragmatique des identités comme résultantes de rapports de force toujours susceptibles d’être modifiés. On lui doit la déconstruction des catégories d’« ethnie » et de « métissage », une critique acerbe de l’ethnologie coloniale, de l’idéologie républicaine et de leurs raciologies conjointes, mais également l’élaboration de cadres conceptuels nouveaux. Sa théorie des « branchements » – ou toutes les dérivations opérées à partir d’un réseau, ainsi que les torsions et emprunts latéraux entre divers « lieux de la culture », toujours en tension relationnelle les uns avec les autres – présente ainsi une alternative féconde aux théories postcoloniales de la polarisation et de l’hybridité.
Cet ouvrage s’attache à mettre en relief la profonde cohérence d’une œuvre qui a constamment remis en question les découpages ethniques ou communautaristes des corps sociaux et politiques, ainsi que les partitions disciplinaires entre anthropologie, sociologie, histoire de l’art, linguistique et études littéraires. De plus, on trouvera à la fin de chaque contribution les réponses de Jean-Loup Amselle à celles-ci. Il contient enfin quatre nouveaux essais de l’auteur.
Professeur de littératures francophones à l’Université de Strasbourg, Anthony Mangeon a enseigné aux Universités de Stanford (Californie), de Cergy-Pontoise et de Paul-Valéry Montpellier (France). Il est l’auteur ou le directeur de plusieurs ouvrages, dont La Pensée noire et l’Occident (Sulliver, 2010) et Postures postcoloniales (Karthala- MSH-M, 2012).
Directeur d’études à l’EHESS et rédacteur en chef des Cahiers d’études africaines, Jean-Loup Amselle est l’auteur de nombreux ouvrages dont Logiques métisses (1990), Branchements (2001), L’Occident décroché (2008), Rétrovolutions (2010), L’Ethnicisation de la France (2011), L’Anthropologue et le politique (2012), Psychotropiques (2013), et dernièrement Les Nouveaux Rouges-Bruns (2014).
Illustration de couverture : Shuck One, « Anticipe toi aussi », 1993, crédit photo : SEKA, collection privée Mbalia Conte, tous droits réservés.
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Du nouveau sur Aragon ? un nécessaire défi !
Y a-t-il à dire encore sur Aragon, après 2012, qui a vu commémorer le trentenaire de la mort de l’auteur par de multiples publications, ouvrages et articles, sur papier et en ligne, expositions et spectacles ?
Ce volume, consacré à « Aragon, trente ans après », fait le pari que oui. Car, au-delà de quelques utiles articles de synthèse prolongeant l’année commémorative, il explore pour l’essentiel des aspects méconnus ou peu traités de l’œuvre aragonienne comme de l’homme : sa réception, à l’international (Japon et Congo), et dans le champ scolaire (école, collège, lycée) voire universitaire (pour le cas de l’enseignement du français langue étrangère), la façon dont l’auteur investit dans son écriture ses activités de traducteur, de journaliste ou d’éditeur, de nouvelles pistes intertextuelles (Maurice Barrès, Arthur Rimbaud, le peintre André Masson), mais aussi une facette inattendue de l’enfant qu’il fut, grâce à une correspondance et un témoignage inédits.
Alors pour paraphraser Aragon lui-même, il est urgent de « commencer par [nous] lire » …
Table des matières
Patricia Principalli, Corinne Grenouillet, Erwan Caulet
Écrit au seuil : Aragon, trente ans après
Réception internationale
Michel de Boissieu
Une lecture de La Semaine sainte au Japon
Béatrice N’guessan-Larroux
Croisements romanesques : Aragon au Congo
Aragon dans le champ scolaire
Patricia Principalli
Aragon dans les manuels de l’école
et du collège : un auteur « classique » ?
Josette Pintueles
Aragon dans les manuels scolaires des lycées aujourd’hui
Marjolaine Vallin
Aragon dans les manuels de Français langue étrangère
Aragon, polyvalent et polygraphe
Johanne Le Ray
Aragon et le l’expérience de l’étranger :
la traduction comme laboratoire de la création
Marie-Cécile Bouju
Aragon, éditeur
Florian Mahot-Boudias
« Front rouge », les tracts et L’Humanité :
hypothèses sur la genèse d’un poème détesté
Aragon et l’Histoire
Reynald Lahanque
Oublier Barrès, oublier l’Indonésie
Mireille Hilsum
Aragon, un écrivain du siècle passé ?
Marie-France Boireau
Aragon, romancier penseur de l’histoire
Maryse Vassevière
Les paradoxes d’Aragon
Daniel Bougnoux
Vérité d’Aragon
Intertextes
Adrien Cavallaro
Aragon et le système rimbaldien
Alain Trouvé
Cantate à André Masson :
ultime variation sur l’art et la totalité
Documents et Inédits
Aragon et Robert Alexandre
Agnès Alexandre-Collier et Hervé Bismuth
Aragon et Robert Alexandre :
une amitié de jeunesse
Philippe Alexandre et Agnès Alexandre-Collier
Portrait de famille
Hervé Bismuth
Témoignage d’une amitié de jeunesse
Robert Alexandre
Témoignage sur Aragon [1981]
Aragon
Lettres à Robert Alexandre
(novembre 1918-février 1919)
Résumés des articles (les lire en ligne sur le site de l'ERITA)
Présentation de l’ÉRITA, Équipe de Recherche Interdisciplinaire sur Elsa Triolet et Aragon
Table des matières
En partant de la définition que Michel Foucault donne de la clinique, cet essai propose de relire un certain nombre d’oeuvres fantastiques de la fin du XIXe siècle (Maupassant, Lorrain, Lermina, Villiers, mais aussi Zola), en s’interrogeant sur ce qui permet de les cataloguer comme « fantastiques ». La naissance de la clinique est en effet traditionnellement rattachée à l’esthétique réaliste, à laquelle elle fournit une méthode, un objet (la pathologie), et un système d’explication.
L’hypothèse avancée est alors que le fantastique fin-de-siècle relève d’une optique particulière (le « fantastique réel ») puisant dans la clinique un certain nombre de ses règles poétiques : le principe de Broussais (la continuité du normal et du pathologique), le principe de Baillarger (le primat de l’involontaire), et le rôle de l’analyse (devenue principe morbide de déliaison).
Au-delà de l'esthétique naturaliste, Germinie Lacerteux inaugure un nouveau régime de roman psychologique, où le personnage est à la fois l'incarnation d'un discours médicale et le support de la compassion du lecteur. L'édition du texte est accompagnée de nombreux inédits et d'un important dossier de réception.
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La Bible fut un réservoir d’histoires à destination des enfants dès le Moyen Âge. Aujourd’hui, on puise toujours dans la Genèse ou dans le Nouveau Testament, actualisant des textes fondateurs, afin de les intégrer dans des livres pour la jeunesse.
Parodiée, commentée, réinterprétée, la Bible continue de s’offrir comme une sorte de grand vivier de mythes littéraires auquel l’écrivain, qu’il soit croyant ou non, ne se prive pas de recourir. L'étude des écarts entre le texte originel et sa récriture témoigne des mouvements qui affectent la culture du temps et permet de pointer la manière de faire des auteurs, les effets produits sur l’ouvrage réalisé comme sur le mythe lui-même. Elle révèle aussi la dynamique du mythe biblique à l’œuvre dans les textes et esquisse, parallèlement, une réflexion sur l’évolution de la jeunesse entre héritage et questionnements dans un contexte culturel en constante évolution.
Table des matières
Préface de Jacques Audinet (lire la préface en ligne)
Avant-propos : De la méthodologie et du corpus choisis
Récit mythique et esprit d’enfance
Les outils de la mythocritique
La récriture de mythes : un paradoxe ?
La perspective anthropologique à la croisée des variations du mythe et du texte
Le choix du corpus en lien avec la problématique
Structuration d’ensemble
Retrouver et/ou recréer le paradis terrestre
Livres de la Création ou la Genèse mise à la portée du jeune lecteur
De la parodie ludique à la transposition sérieuse
Une terre originelle où vivre une relation privilégiée avec les plantes et les bêtes
Puissance créatrice de la langue « primitive » : quand la poésie rencontre l’étiologie
Avatars de Robinson Crusoé ou les paradoxes de l’île paradisiaque
Dessiner un parcours initiatique
Les Robinsons ne sont plus ce qu’ils étaient
Retrouver la terre d’enfance : Rêves d’auteurs
« La topophilie » ou l’étude des images de l’espace heureux
Ambiguïtés édéniques
Annexes
Actualisation de mythes bibliques rémanents en littérature de jeunesse contemporaine
Les Abécédaires : appropriation de mythes bibliques au fil des époques
L’apprentissage de la lecture comme initiation à l’ordre sacré
Avatars de l’alphabet illustré
Abécédaires contemporains agnostiques
Le mythe du Déluge et les enfants de Noé
La réactivation du mythe du Déluge
Les enfants de l’arc-en-ciel
Variations hypertextuelles de la parabole de l’enfant prodigue
Les raisons spécifiques d’une récriture
Désillusions de l’ailleurs et retour du prodigue
De la « continuation » d’un texte biblique : L’adoration des mages
Conte merveilleux, conte religieux
La version continuée d’un récit évangélique passé dans la Légende dorée
Libres interprétations tourniériennes
Divertir ou convertir
Annexes
La dynamique du mythe biblique à l’œuvre dans des ouvrages contemporains pour la jeunesse
De l’inscription du motif biblique au cœur du récit
Motif biblique appelé par une thématique ou vice versa
Un parcours de lecture balisé par le choix déterminé de l’hypotexte
L’ange : un adjuvant dont l’intervention n’est pas sans conséquences
Oscar et la dame rose d’Éric-Emmanuel Schmitt ou les combats de l’ange
L’ange : agent de conversion
Les anges dans tous leurs états
Messies pour notre temps : du renouvellement des mythes anciens à la création de nouveaux mythes
La figure du patriarche protecteur de la nature
L’enfant sauveur
L’ami universel
En guise de conclusion : « Arts de faire »
Transpositions diégétiques tributaires des préoccupations socioculturelles d’une époque
Récritures et intentions d’auteurs
Prise en compte d’un lectorat spécifique
Éléments de bibliographie
Le XIXe siècle, siècle de la gastronomie ? La Révolution qui lui donne naissance est, quoi qu'il en soit, également culinaire. Le Bourgeois s'empare de la table laissée vacante par l'Émigré, et fait du « ventre en majesté » l'indice de sa conquête sociale. Aiguillé par le nouveau discours gastronome et la diététique qui en découle, l’artiste – et en premier l’homme de lettres – semble quant à lui considérer sous un jour nouveau l’innutrition à l’origine de ses œuvres. Des Carnets de Joseph Joubert aux variations littéraires autour du Hungerkünstler, du Traité des excitants modernes de Balzac à la « gourmandise » salvatrice de Gide, l’art du XIXe siècle interroge le lien entre rythme de la création et rythme de la nutrition. Parallèlement, la « physiologie du goût » inspire le discours critique, et fournit un nouveau paradigme pour dire le Beau en l’associant au Savoureux, louer ou disqualifier les œuvres en fonction de leur rapport à la nourriture.
C’est cette « cuisine de l’œuvre » qu’abordent ici spécialistes de la littérature et historiens de l’art, en tentant de cerner un art de se nourrir où dialoguent discours esthétique, médical et politique.
Bertrand Marquer et Éléonore Reverzy — Préface
I - DIÈTE LITTÉRAIRE
Emmanuelle Tabet — Joseph Joubert et la diète littéraire : de l'innutrition à la rumination
Claudine Giacchetti — Les petites filles gourmandes de la comtesse de Ségur
Geneviève Sicotte — Gastronomie extrême. Les nourritures bizarres des écrivains
Jean-Louis Cabanès — La parole copieuse
Bertrand Marquer — Portrait de l'artiste en dyspeptique
Michel Delville — Activismes et résistances de l'inappétence : Shelley, Melville, Kafka
II - LE VIVRE ET LE COUVERT
Christophe Reffait — Une bouche de plus à nourrir (Stendhal lecteur de Malthus)
Laurent Baridon — La Carte vivante du Restaurateur de Grandville : les appétits d'une période de crise
Stéphane Gougelmann — Une société d'écornifleurs. Le personnage du pique-assiette au XIXe siècle
Sophie Ménard — L'Empire de la cuisine chez Zola : ethnocritique de La Conquête de Plassans
Éléonore Reverzy — Huysmans. Archive de La Faim
III - GOÛT, DÉGOÛT, RAGOÛT
Colette Becker — Zola, un critique gourmet
Frédérique Desbuisssons — Les couleurs de l’alimentation : la peinture française au prisme de la nourriture, 1860-1880
Marie Scarpa — Retour ethnocritique sur les modalités du ventre dans Le Ventre de Paris
Joëlle Bonnin-Ponnier — La faim dans l’œuvre de Maupassant
Stéphanie Bertrand — « Je fus sauvé par gourmandise » ou le rôle de la faim dans la fin du symbolisme gidien
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Publié aux Presses Universitaires de Strasbourg, ce treizième numéro de la série Recherches croisées Aragon / Elsa Triolet comporte trois dossiers, un ensemble de lettres inédites et une interview d’Aragon inédite en français. Plusieurs chercheurs se sont penchés sur les liens de l’œuvre d’Aragon avec l’histoire : Marie-France Boireau examine le paradoxe qui inscrit les premiers romans du Monde réel à la fois dans la certitude militante mais aussi dans la hantise, tragique, de la fatalité de la guerre. Aurore Peyroles revisite Les Communistes (1ère version) sous l’angle de l’opposition structurante entre bonnes et mauvaises histoires (selon les travaux sur le storytelling de Salmon et Citton). C’est de ce roman que part Corinne Grenouillet, en particulier d’un épisode de la Seconde Guerre mondiale narrant le sacrifice de soldats africains en mai 1940 il est mis en relation avec le traitement de la question coloniale par Aragon depuis le surréalisme jusqu’au début des années 1950. Avec l’historien Erwan Caulet, le regard sur Aragon se décentre, car il interroge l’écrivain comme critique littéraire (dans Les Lettres françaises) au miroir de son appartenance à la critique littéraire communiste prise dans son ensemble. D’un point de vue plus stylistique, Julie Morisson s’attache elle aussi aux articles de critique d’Aragon parus dans les années 1953-1955 dans Les Lettres françaises : constitués sur un modèle « conversationnel », marqués par une prose sensible à la lisière du poétique, ils se détachent par leur singularité sur un fond de débats sur « l’art de parti ». Le dossier Elsa Triolet comporte une contribution de Marianne Delranc : elle montre comment Elsa Triolet a participé à la diffusion et à la connaissance en France des structuralistes et formalistes russes qui comptaient au nombre de ses amis et comment elle utilise Les Lettres françaises en 1968 pour riposter aux attaques de la revue russe Ogoniok contre Lili Brik, la « veuve » de Maïakovski.
Le dossier « Aragon, arts et intertextes » révèle la richesse et la complexité du dialogue qu’Aragon a entretenu avec la peinture : Maryse Vassevière se penche sur un pan de l’œuvre inexplorée, les articles que l’écrivain consacre à la peinture soviétique dans les années 1950 et où se joue un dialogue avec Breton. Josette Pintueles étudie l’illustration de L’Œuvre poétique dont l’architecture contribue, par les jeux d’écho, intertextuels ou interpicturaux, à faire circuler le lecteur à l’intérieur d’un Tome ou d’un Tome à l’autre. Quant à Patricia Principalli-Richard, elle montre les répercussions d’une lecture d’enfant, Le Général Dourakine de la Comtesse de Ségur, sur l’imaginaire d’Aragon et sur l’invention du personnage de Simon Richard dans La Semaine sainte.
Des lettres inédites d’Aragon à des « jeunes gens » des années 1970, en particulier au poète Henri Droguet (qu’il publia dans Les Lettres françaises), ainsi qu’une interview inédite en français au magazine italien Rinascita (datant de 1968) bouclent ce numéro 13.
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Pour en savoir plus sur le contenu du livre - résumés, table des matières (site de l'ERITA)
Corinne Grenouillet, qui a coordonné les Recherches croisées Aragon / Elsa Triolet n° 13 au nom de l’Équipe de recherche interdisciplinaire Aragon / Elsa Triolet (ÉRITA), est maître de conférences à l’Université de Strasbourg. Elle a publié deux autres livres, en collaboration avec Éléonore Reverzy, aux Presses Universitaires de Strasbourg, : Les Voix du peuple (2005) et Les Formes du politique (2010).
Les manières dont le politique informe l'œuvre, lui donne sa structure, lui confère sa densité, sont analysées ici en une suite d'études qui montrent aussi comme l'homme de pouvoir qu'est l'auteur sait jouer et faire jouer la littérature à son service: parler de politique, n'est-ce pas bien souvent parler du pouvoir que l'écrivain exerce sur son lecteur, de l'autorité de son verbe ou des fictions qu'il élabore? Les actes du séminaire réunis ici donnent à voir la variété des formes du politique - l'éloquence, le genre du roman politique, les discours philosophiques et théoriques - ainsi que les postures des écrivains à une époque où se pose nécessairement la question de leur engagement. |
Table des matières
Corinne Grenouillet & Éléonore Reverzy • Introduction
I – PAROLE POLITIQUE ET ÉLOQUENCE
Dominique Dupart • Éloquence sensible, éloquence à la Jean-Jacques : un idéal lyrique transporté sur un balcon de campagne ou les Discours familiers de Lamartine
Marieke Stein • L’orateur, le peuple, le discours dans l’œuvre de Victor Hugo
II – PUISSANCES NARRATIVES DE L’IMAGE
Pierre-Louis Rey • Un paradoxe stendhalien : le coup de pistolet au milieu d’un concert
Éléonore Reverzy • L’écriture du politique dans Son Excellence Eugène Rougon d’Émile Zola
Bertrand Marquer • Hystéries républicaines : le nerf de la guerre
Roselyne Waller • La mine comme horizon magique : Les Derniers jours de la classe ouvrière d’Aurélie Filippetti
III – LANGUES DU POLITIQUE
Timothée Picard • Nietzsche face à Rousseau : quel héritage pour l’idéal esthético-politique ?
Romuald Fonkoua • Politiques de l’écriture dans les littératures postcoloniales
IV – THÈSE, DISCOURS, ARGUMENTATION
Corinne Grenouillet • Blaise Cendrars : amour du peuple, refus de la politique
Jean-Michel Wittmann • Drieu la Rochelle, ou l’écrivain (contre la) politique
Reynald Lahanque • Les Particules élémentaires : un roman à thèse ? Roman à thèse et hypothèse romanesque
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Les « voix du peuple », formule de Michelet dans l’Histoire de France, renvoient ici à la manière dont la littérature dit le peuple : que dit le peuple ? et surtout comment le dit-il ? quelles sont ses façons de se faire entendre (le discours, le cri, le chant) et quel est son langage (ses langues : idiolecte, sociolecte, parlures diverses, accent) ? Au cours du mois de mai 2005 une trentaine de chercheurs ont tenté de mettre en évidence ces voix dans les œuvres littéraires et musicales qui les ont répercutées, fait résonner ou qui ont enregistré leur échec, des voix révolutionnaires et romantiques de L.-S. Mercier ou P.-L. Courier aux voix d’en bas résolument contemporaines de François Bon ou Jean Louvet. Vallès, Zola, Barbusse, Aragon ou Poulaille (pour ne citer qu’une partie des auteurs sur lesquels portent les communications ici réunies) se sont attachés, avec des fortunes diverses, à faire entendre ces voix dans le cadre d’un travail sur et de la “forme” littéraire. Le peuple se décline en paysans, en mineurs, en “javanais” immigrés ; l’écrivain prend la plume du reporter-interviewer, la trempe dans l’encre des journaux du XIXe siècle, mène l’enquête ; porte-parole ou témoin, issu lui-même ou non de ce « peuple » aux représentations fluctuantes, il se trouve confronté à la question de la légitimité d’une prise de parole dont les enjeux sont de nature politique autant qu’esthétique.
TABLE des MATIÈRES
Corinne Grenouillet et Éléonore Reverzy • Liminaire
I – VOIX RÉVOLUTIONNAIRES ET VOIX ROMANTIQUES
Florence Lotterie • Le Nouveau Paris de Louis-Sébastien Mercier : de la cacophonie révolutionnaire à l’unisson républicain
Michel Brix • Une renaissance romantique : les chansons populaires
Barbara Dimopoulou • Voix et inspiration de l’aède romantique, ou quelques représentations d’Homère
Michel Crouzet • Paul-Louis Courier, la voix du peuple et le massacre de l’idylle
Annie Camenisch • Voix du peuple dans Francia (1871) de George Sand
Sandrine Berthelot • Les Scènes de la vie de bohème ou “l’enfer de la rhétorique et le paradis du néologisme”
II – POLYPHONIES ROMANESQUES
Alain Vaillant • Portrait du romancier réaliste en reporter-interviewer du peuple
Marie-Ève Thérenty • Voix, causes et cris du peuple : le laboratoire journalistique des écrivains
Béatrice Laville • Ces voix qui se sont tues : Zola
Nelly Wolf • L’oral et l’écrit – Autour de La Fille Élisa, d’Edmond de Goncourt
Gisèle Séginger • Les voix du peuple au service de la Contre-Révolution : L’Ensorcelée de Barbey d’Aurevilly
André Not et Catherine Rouayrenc • La parole du peuple dans le roman est-elle possible ? La voix de “la” Radigond (Poulaille, Le Pain quotidien)
Philippe Baudorre • « Les gros mots » : Le Feu d’Henri Barbusse
Corinne Grenouillet et Patricia Principalli • Le parler du peuple dans les romans d’Aragon : entre « morale du langage » et carrefour démocratique
Anne Deffarges • Jean Malaquais : l’oralité dans Les Javanais
III – VOIX ET CHANTS
Pierre-Louis Rey • Le peuple chez Stendhal : le chœur et les solistes
Élisabeth Pillet • Les paysans au café-concert : stéréotypes et voix divergentes
Timothée Picard • Donner voix au peuple à l’opéra : utopies et mystifications
IV – LÉGITIMITÉ D’UNE PAROLE POPULAIRE
Marie-Françoise Melmoux-Montaubin • L’œuvre romanesque de Jules Vallès : comment concilier « passion littéraire » et « passion sociale » ?
Charles Grivel • Dubut de Laforest : les voix de la dénonciation
Céline Pobel • La représentation du peuple à travers ses prises de parole : du sociotype d’Émile Zola au contresociotype d’Henry Poulaille (Le Pain quotidien)
Sandra Travers de Faultrier • Nudité de la voix sans voix : Gide (Souvenirs de la Cour d’assises)
Jérôme Meizoz • Charles-Ferdinand Ramuz et les voix du peuple
V – VOIX D’EN BAS
Reynald Lahanque • Henri Calet, ce peu de voix
Constanze Baethge • Parole atopique et sagesse infuse dans La Pluie d’été de Marguerite Duras
Roselyne Waller • « C’est plutôt la leur de langue que j’ai perdue » : Annie Ernaux et la langue populaire
Jacques Dubois • Conversation en Wallonie de Jean Louvet – Aphasie ouvrière et pouvoir du verbe
André Chauvin • Voix ouvrières dans Mémoires de l’enclave (Jean-Paul Goux) et Daewoo (François Bon)
Constanze Baethge
Constanze Baethge est maître à conférence au Frankreich-Zentrum de la Technische Universität Berlin. Elle est l’auteur d’une thèse sur la modernité de Huysmans et de nombreux articles sur les littératures française et francophone des XIXe et XXe siècles.
Philippe Baudorre
Philippe Baudorre est professeur de littérature française à l’Université Michel de Montaigne Bordeaux 3. Il est l’auteur d’une biographie d’Henri Barbusse : Barbusse, Le Pourfendeur de la Grande Guerre, Flammarion, Collection Grandes biographies, 1995, d’études sur les rapports entre littérature et journalisme (notamment La Plume dans la plaie, Les écrivains journalistes et la guerre d’Algérie, Édition préparée par..., Presses universitaires de Bordeaux, 2003) et de François Mauriac (François Mauriac, un écrivain journaliste, Édition préparée par Philippe Baudorre, La Revue des Lettres modernes, lettres modernes Minard, 2003.) Il prépare une édition critique du Feu d’Henri Barbusse, à paraître aux Éditions Champion.
Sandrine Berthelot
Chargée de cours à l’Université Catholique de l’Ouest, Sandrine Berthelot est l’auteur d’un doctorat publié aux éditions Champion en 2004 sur L’Esthétique de la dérision dans les romans de la période réaliste en France (1850-1870) : genèse, épanouissement et sens du grotesque.
Michel Brix
Maître de recherches aux Facultés universitaires de Namur, Michel Brix est l’auteur d’une vingtaine d’ouvrages – essais et éditions – consacrés à l’histoire de la littérature française, au romantisme, aux utopies amoureuses, à Sade, Gretry, Fourier, Sainte-Beuve, Nerval et Gautier.
Annie Camenisch
Maître de conférences en Lettres, IUFM d’Alsace, sa thèse de doctorat porte sur la condition féminine dans les derniers romans de George Sand. La liste de ses travaux est consultable sur le site http://a.camenisch.free.fr/sand. Annie Camenisch mène parallèlement une recherche en didactique du français autour de la maîtrise de la langue dans les disciplines scientifiques.
Andrée Chauvin-Vileno
Professeur à la Faculté des Sciences du Langage de l’Homme et de la Société de Besançon (Université de Franche-Comté), membre de l’équipe LASELDI, responsable de publication de la revue de sémio-linguistique des discours et des textes Semen (Presses Universitaires de Franche-Comté). Elle est l’auteur d’une thèse consacrée à l’ironie et à l’intertextualité chez G. Perec ; ses travaux (dont la liste est consultable sur le site du LASELDI) portent sur la sémiotique littéraire la pragmatique textuelle et s’orientent vers les problématiques énonciatives et l’analyse du discours social.
Michel Crouzet
Professeur émérite à l’Université de Paris IV, Sorbonne, Michel Crouzet est l’auteur d’une édition complète des pamphlets de Paul-Louis Courier qui paraîtra en 2006.
Anne Deffarges
Docteur en littérature générale et comparée pour une thèse intitulée « De la naissance du naturalisme sous la IIIe République à sa réception dans la social-démocratie allemande (1865-1897) », Anne Deffarges,enseigne l’allemand à l’Université de Haute Alsace.
Barbara Dimopoulou
Docteur ès Lettres (Université de Paris IV-Sorbonne), Barbara Dimopoulou est chargée de cours à Paris III-Sorbonne nouvelle, membre permanent du Centre de recherches révolutionnaires et romantiques (Clermont-Ferrand II), rédactrice des rubriques « Le dix-neuvième siècle scientifique » et « Le dix-neuvième siècle bibliographique » du bulletin Dix-neuvième siècle de la Société des études romantiques et dix-neuviémistes. Travaux : La Mythologie romantique du peuple (thèse de doctorat, sous la direction de M. Crouzet, 2002) ; « La légende du château dans Inès de las Sierras de Charles Nodier et dans L’Ensorcelée de Barbey d’Aurevilly », « Le peuple de Courier. “En un mot, s’il faut vous le dire, mes amis ici sont dans le peuple”... Posture ou imposture ? », « “La France a fait la France” : lecture de l’Introduction à l’histoire universelle et du Tableau de la France de Michelet », « Le monde des végétaux chez Sand et Michelet » (articles à paraître en 2006).
Jacques Dubois
Professeur émérite de l’université de Liège, Jacques Dubois est notamment l’auteur de Pour Albertine. Proust et le sens du social (Seuil, 1997) et des Romanciers du réel (Seuil, Points, 2000). En collaboration avec B. Denis, il a édité les Romans de Simenon dans la bibliothèque de la Pléiade (2003, 2 vol.). Il prépare un ouvrage sur les romans de Stendhal.
Corinne Grenouillet
Maître de conférences à l’Université Marc Bloch, Strasbourg II, membre du CERIEL (Centre de Recherches : Idées-Esthétique-Littérature) et d’ÉRITA (Équipe de recherche interdisciplinaire Elsa Triolet/Aragon), Corinne Grenouillet est spécialiste d’Aragon. Auteur de Lecteurs et lectures des Communistes d’Aragon (Presses Universitaires franc-comtoises, 2000), elle dirige les Recherches croisées Aragon/Elsa Triolet publiées aux Presses Universitaires de Strasbourg.
Charles Grivel
Charles Grivel est professeur émérite à l’université de Mannheim (Allemagne). Ses travaux touchent à la littérature marginale, méconnue, excentrique et populaire du dix-neuvième siècle, surtout, d’un côté, à l’histoire et à la théorie de la photographie, de l’autre. Le roman-photo, le roman-cinéma, le livre à images et l’illustration font partie de ses spécialités. Les problèmes liés à l’identification photographique l’intéressent tout particulièrement.
Reynald Lahanque
Professeur de littérature française du XXe siècle (Nancy 2), Reynald Lahanque est président de l’Équipe de recherche sur Aragon et Elsa Triolet (ÉRITA), travaux et recherches sur Aragon, le réalisme socialiste en France, l’engagement politique des écrivains.
Béatrice Laville
Maître de conférences à l’université Michel de Montaigne-Bordeaux III, Béatrice Laville est spécialiste de Zola et du naturalisme, a écrit de nombreux articles notamment sur Zola, Champfleury, Goncourt, et le roman post-naturaliste, et collabore à diverses éditions de l’œuvre de Zola. Elle a dirigé le numéro 20 de Modernités, Champ littéraire fin de siècle, autour de Zola, PUB, 2004
Florence Lotterie
Florence Lotterie est maître de conférences à l’Université Marc-Bloch, spécialiste de littérature du XVIIIe siècle. Ses recherches s’orientent plus particulièrement sur l’histoire des idées et des représentations (histoire, philosophie, libertinage), le roman et le tournant de siècle, en particulier autour de Madame de Staël et le Groupe de Coppet, auxquels elle a consacré de nombreux articles. Secrétaire de la Société des études staëliennes, elle dirige actuellement le numéro 2006 des Cahiers staëliens, consacré aux perspectives critiques “féminines”. En avril 2006, paraîtra à la Voltaire Foundation (Oxford) : Progrès et perfectibilité : un dilemme des Lumières françaises (1755-1814).
Jérôme Meizoz
Enseignant la littérature française à l’Université de Lausanne, Suisse, écrivain et critique, Jérôme Meizoz a publié un Ramuz (1997), L’Âge du roman parlant 1919-1939 (2001), Le Gueux philosophe. Jean-Jacques Rousseau (2003) et participé à la publication des Romans I et II de Ramuz dans la collection Pléiade (2005).
Marie-Françoise Melmoux-Montaubin
Maître de conférences à l’Université Paris 7, est l’auteur d’ouvrages sur la littérature française de la seconde moitié du XIXe siècle. Elle a notamment publié L’Écrivain-journaliste, un mutant des lettres ? (Éditions des Cahiers intempestifs, « Lieux littéraires », 2003) ainsi qu’un Barbey d’Aurevilly dans la Bibliographie des écrivains français (2001). Elle participe à l’édition de la critique aurevilienne aux Belles Lettres.
André Not
André Not, professeur à l’Université de Provence (Aix-Marseille I) est spécialiste du roman français des années 20-50 (Bernanos, Giono, Nizan, Gadenne notamment). Il a publié en 2003 aux Publications de l’Université de Provence Autour d’Henry Poulaille et de la littérature prolétarienne en collaboration avec Jérôme Radwan.
Timothée Picard
Ancien élève de l’École Normale Supérieure et de Sciences-Po Paris, maître de conférences à l’Université de Rennes II, spécialiste de l’étude des relations musico-littéraires, Timothée Picard vient de terminer une thèse intitulée La Littérature face au défi wagnérien. Il est également critique musical.
Élisabeth Pillet
Maîtresse de conférences à l’IUFM de Montpellier, Élisabeth Pillet est l’auteure d’une thèse sur le poète Gaston Couté (1880-1911) et d’articles portant principalement sur l’évolution de la culture orale dans le divertissement de masse à partir du XIXe siècle : chansons, textes parlés, et sur l’interaction entre ces formes d’expression et la littérature légitimée. Dernières publications : avec Alain Vaillant, coordination du no 21 de la revue Humoresques, janvier 2005, publiée par l’association CORHUM et le CRIH (Centre de Recherche Interdisciplinaire sur l’Humour) de l’université Paris VIII : Humour, oralité et connivence ; « Fernand Raynaud : le Français moyen aux prises avec la diversité des français » (ibid.) ; « Rire des paysans, rire avec les paysans : à propos de Gaston Couté » in Humoresques no 19, janvier 2004 : Rires marginaux, rires rebelles ; « Ce genre n’existe pas – pourquoi l’inventer? », Belphégor (Revue universitaire en ligne), vol. III no 1, décembre 2003 : Les genres et la culture de masse.
Céline Pobel
Actuellement institutrice spécialisée, Céline Pobel a fait des travaux de recherche sur Henry Poulaille et la littérature prolétarienne des années trente ainsi que sur les résurgences de celle-ci à l’heure actuelle et a publié un article à ce sujet dans l’ouvrage Autour d’Henry Poulaille et de la littérature prolétarienne (« Nouvel âge littéraire (bis) ou quand le peuple persiste et signe Beur »), sous la direction d’André Not et de Jérôme Radwan, Publications de l’Université de Provence, 2003.
Patricia Principalli
Professeur agrégée à l’IUFM de Créteil, membre d’ÉRITA (Équipe de recherche interdisciplinaire Elsa Triolet/Aragon), Patricia Principalli a publié La Semaine sainte d’Aragon, un roman du passage, L’Harmattan, 2000. Ses travaux portent sur Aragon.
Pierre-Louis Rey
Professeur à l’Université de Paris III-Sorbonne nouvelle, responsable du Centre de Poétique, génétique et informatique du texte romanesque, Pierre-Louis Rey est aussi directeur de la Revue d’Histoire Littéraire de la France.
Éléonore Reverzy
Professeur à l’Université Marc Bloch, Strasbourg II.
Catherine Rouayrenc
Agrégée de grammaire, Catherine Rouayrenc est professeur émérite de linguistique française de l’Université de Toulouse-Le Mirail. Après une thèse d’état : Recherches sur le langage populaire et argotique dans le roman français de 1914 à 1939, plusieurs publications ont eu pour objet l’étude du parlé chez divers écrivains, notamment Poulaille, Guilloux, Ramuz et surtout Céline, auquel ont été consacrés un livre : « C’est mon secret », La technique de l’écriture populaire dans Voyage au bout de la nuit et Mort à crédit et « Vocabulaire populaire et argotique » dans Céline, Romans IV (Pléiade). C. Rouayrenc est également l’auteur de Les Gros mots (PUF, Que sais-je).
Gisèle Séginger
Professeur à l’Université Marne la Vallée, responsable de l’Équipe « Littérature et savoirs des formes », chercheur associé de l’Équipe « Flaubert » (ITEM/CNRS), membre de la rédaction de la revue Romantisme aux éditions Armand Colin (responsable des numéros « panoramiques »), membre du Conseil de rédaction de la revue Nineteeth Century French Studies (USA), Gisèle Séginger participe à la réédition des Œuvres complètes de Flaubert dans la Bibliothèque de la Pléiade et est directrice de la série Flaubert. Elle a publié plusieurs livres sur Flaubert : Flaubert et Les Tentations de saint Antoine. Naissance et métamorphoses d’un écrivain (Champion, 1997), Flaubert. La poétique de l’histoire (Presses universitaires de Strasbourg, 2000), Flaubert. Une poétique de l’art pur (SEDES, 2000), une édition de Salammbô (avec un chapitre inédit), Flammarion 2001, et des travaux sur divers auteurs : Nerval au miroir du temps (Ellipses, coll. « Textes fondateurs », 2004), des éditions de Balzac (Le Lys dans la vallée, Hachette, 1995), et Zola (La Bête humaine, Hachette, 1997), des ouvrages collectifs, De l’objet à l’œuvre (Presses universitaires de Strasbourg, 1997), Éthique et littérature (Presses universitaires de Strasbourg, 2000) et Zola à l’œuvre (Presses universitaires de Strasbourg, 2003).
Marie-Ève Thérenty
Maître de conférences à l’université de Montpellier III, spécialiste des relations entre presse et littérature, Marie-Ève Thérenty a notamment publié Mosaïques, être écrivain entre presse et roman, Champion, 2003 et avec Alain Vaillant, 1836, l’an I de l’ère médiatique, Nouveau monde, 2001 et Presse et plumes. Journalisme et littérature au XIXe siècle (dir), Nouveau monde, 2004. Elle prépare actuellement un essai intitulé La Vie est un journal. Poétique du quotidien (1836-1914).
Sandra Travers de Faultrier
Avocate, enseignante à Paris I et Sciences-Po Paris dont elle est diplômée, Sandra Travers de Faultrier est également docteur ès Lettres et a pour domaine de recherche Droit et littérature, titre de son livre publié aux PUF en 2001.
Alain Vaillant
Alain Vaillant est professeur de littérature française à l’université Paul-Valéry (Montpellier III), où il dirige le Centre d’études romantiques et dix-neuviémistes. Spécialiste du XIXe siècle et de poétique historique, il est en outre le coordinateur de la revue Romantisme. Ses derniers ouvrages sont : 1836. L’an I de la culture médiatique (en collaboration avec Marie-Ève thérenty), Paris, Nouveau Monde éditions, 2001 ; L’Amour-fiction. Discours amoureux et poétique du roman moderne, Saint-Denis, Presses Universitaires de Vincennes, 2002 ; La Crise de la littérature. Romantisme et modernité, Grenoble, Ellug, 2005.
Roselyne Waller
Maître de conférences à l’IUFM d’Alsace, membre d’ÉRITA, Roselyne Waller est l’auteur d’Aragon et le père, romans, Presses Universitaires de Strasbourg, 2001.
Nelly Wolf
Professeur à l’université de Lille III, Nelly Wolf a publié Le Peuple dans le roman français de Zola à Céline (PUF, 1990) ; Une Littérature sans histoire. Essai sur le Nouveau Roman (Droz, 1995) et Le Roman de la démocratie (Presses Universitaires de Vincennes, 2003). Ses travaux portent sur les liens entre la littérature et la politique.
Constanze Baethge, « Parole atopique et sagesse infuse dans La Pluie d’été de Marguerite Duras »
L’analyse porte sur La Pluie d’été de Marguerite Duras, roman paru en 1990, et plus spécialement sur le processus qui fait d’une simple « voix du peuple » issue d’une banlieue mythifiée une parole qui s’autonomise en texte au point de se faire « écriture » et qui finit par accéder, au plan symbolique, au statut de parole sublimée jusqu’à se faire « livre » elle-même. Dans un acte réfractaire, le fils aîné d’une famille du quart monde, refuse de se scolariser pour mieux accéder à une science infuse que lui procure notamment la lecture d’un « livre brûlé » dans lequel il est permis de reconnaître le Livre de l’Ecclésiaste. Ainsi se trouve dénoncée par la voix toute orale du peuple une haute culture codifiée. Dans cette dénonciation, on pourrait reconnaître la forme contemporaine du potlatch assumé, selon Bataille, dans une dilapidation symbolique par les plus démunis.
Philippe Baudorre, « Les Gros mots »
Si Le Feu reste, dans son ensemble, marqué par une stricte répartition entre la voix narratrice et la voix populaire selon le principe du cloisonnement énonciatif , on voudrait montrer ici que la voix du peuple s’impose, déborde du cadre dans lequel elle était enfermée et inverse, à l’intérieur de l’espace romanesque, le rapport de forces. Les fonctions naturellement assumées par le narrateur comme la description, la narration ou le commentaire sont en effet transférées vers le personnage. La langue populaire – sa créativité, ses inventions inattendues – a été pour Barbusse un véritable moteur de l’écriture. Constamment valorisée dans le roman, la voix du peuple y est donnée comme la voix de la vérité, qui s’oppose à la voix du mensonge, de la trahison, celle des « gens » de l’arrière. Le chapitre XIII du Feu, où un homme du peuple confie au narrateur-écrivain une mission esthétique et politique (« mettre les gros mots à leur place »), est ainsi une scène emblématique marquant l’émergence du « roman parlant ».
Sandrine Berthelot, « Les Scènes de la vie de bohème ou “l’enfer de la rhétorique et le paradis du néologisme” »
Représentant le moins oublié de la bohème des années 1840, Murger fait entrer sur le devant de la scène littéraire les artistes de la misère qui ne connaissent pas le latin. Volontiers méprisé par les frères Goncourt, fustigé par Champfleury qui fut pourtant l’un de ses compagnons d’infortune, l’auteur des Scènes de la vie de bohème use-t-il d’une langue aussi pauvre et défaillante culturellement qu’on a bien voulu le dire ? Ce langage particulier, « emprunté aux causeries de l’atelier, au jargon des coulisses et aux discussions des bureaux de rédaction » et qui mêle tous les « éclectismes de style » (préface des Scènes de la vie de bohème), ne se situe-t-il pas dans une pure tradition romantique ? Avec les bohèmes s’opèrerait alors une rencontre du romantisme et du peuple : le romantisme, appliqué au réel, serait gaiement réinventé.
Michel Brix, « Une renaissance romantique: les chansons populaires »
Les chansons populaires ont bénéficié du mouvement d’idées qui au XIXe siècle portait les intellectuels à s’intéresser à leurs patrimoines nationaux dédaignés. En France, ce sont pourtant les chansons étrangères qui trouvèrent grâce d’abord aux yeux des érudits : les chants de la Grèce, avec Fauriel ; les ballades écossaises, avec Loève-Veimars et un recueil de Walter Scott traduit en français. Au premier rang de ceux qui se consacrèrent à la collecte des chansons du patrimoine français, figure le nom de Gérard de Nerval, qui inséra dans « La Sylphide » du 10 juillet 1842, un article intitulé « Les Vieilles Ballades françaises ». À la suite de Nerval, les érudits et les lettrés furent de plus en plus nombreux à exhumer les trésors de la muse populaire – qu’on pense aux romans de George Sand, et notamment à Jeanne, dès 1844 – , et cette quête prit même, à partir de 1845, un caractère officiel. Quels étaient les enjeux de cette quête ? Quelles significations accordait-on aux créations de l’âme populaire ? Quelle était, à l’époque romantique, la représentation du “peuple” ? Ce sont quelques-unes des questions qui sont examinées dans mon exposé et rattachées à l’article publié par Nerval en 1842.
Annie Camenisch, « Voix du peuple dans Francia de George Sand »
Écrit en 1871, entre la guerre de 1870 et la Commune, Francia est un roman marqué par l’histoire de son temps où le sort de la France et de son peuple semble pris, pour George Sand, entre déterminisme et incertitudes. Muettes ou expressives, les voix du peuple émergent du roman à travers trois époques. La première, issue du passé, correspond au temps de l’histoire puisque l’action du roman se situe en 1814. Le silence digne de la foule des quartier populaires de Paris se lit à la fois comme une glorification de la résistance passive du peuple et le constat de son impuissance face aux hautes décisions politiques. La seconde époque est contemporaine à la rédaction du roman à laquelle le narrateur fait explicitement allusion, comparant le peuple parisien d’alors à celui de 1871, rendant ainsi hommage à son héroïque résistance aux Prussiens et montrant par là même les évolutions dans la maturité du peuple dans le siècle. Enfin, des voix populaires divergentes se font entendre concernant l’avenir incertain de la France : espoir de maturité du peuple, par la voix d’un Gavroche devenu adulte, rêve d’une entente entre les peuples de tous pays, crainte de l’anéantissement de la République par les voix populaires bernées par les nouveaux dictateurs… À travers les voix du peuple ainsi mises en scène dans Francia, George Sand fait entendre sa propre voix, décalée, distancée, entre admiration et méfiance pour le peuple de Paris.
«Andrée Chauvin-Vileno: « Voix ouvrières dans Mémoires de l'enclave et Daewoo »
Une démarche combattante sans être militante et un travail « outrageusement littéraire » rapprochent dans le propos et dans l’écriture deux livres que presque vingt ans séparent. Jean-Paul Goux avec Mémoires de l’Enclave (1986) qui explore le Pays de Montbéliard sous l’emprise des dynasties industrielles, François Bon avec Daewoo (2003) qui dénonce le « crime social précis » de la fermeture des usines du groupe en Lorraine, refusent « l’effacement de la figure humaine ». Ces livres font résonner des voix dont ils réinventent le timbre et le ton pour les rendre vivantes. À travers une composition précise qui met en tension fiction et documentaire, qui étage discours et métadiscours, le modèle de l’enquête de terrain et le matériau des entretiens recueillis sont interrogés et dépassés. Une véritable poétique polyphonique confronte les discours, fait vibrer l’archive, arpente les formes dans une tentative de réel et d’art qui porte haut l’exigence de la littérature.
Anne Deffarges, « L’oralité dans Les Javanais (Jean Malaquais) »
« Les Javanais », ce sont quelque deux cents exilés venus des quatre coins d’Europe et du monde, qui dans les années 1930 vivent en Provence près d’une mine de plomb et d’argent. Dans ce roman sans personnage principal ni action unique, plusieurs dizaines de Javanais défilent devant le lecteur, chacun gardant la marque de sa patrie perdue. Les descriptions physiques sont rares : ce qui les caractérise vraiment, ce qui peu à peu fait leur individualité, c’est la langue. Dialogues ou monologues intérieurs, chacun mêle à un français oral et populaire, souvent approximatif, un peu de son idiome d’origine. Malgré l’imbroglio linguistique, l’absence de langue véhiculaire n’est pas ressentie comme un manque. Comme l’écrit Malaquais : « Ils se comprennent à l’aide d’un parler fait de toutes les langues et qui n’est d’aucune, étant celui de Java. » La communication fonctionne donc, et pour preuve, le verbe « javaniser » (pour « parler javanais ») est conjugué à tous les temps. Jusqu’à la prose qui est contaminée par le langage oral de ces parias venus des horizons les plus divers. Cette oralité chez Malaquais n’est pas sans faire penser à Céline ; apparemment spontanée, faussement désinvolte, elle se révèle en réalité, comme chez ce dernier, extrêmement travaillée.
Barbara Dimopoulou, « Voix et inspiration de l’aède romantique, ou quelques représentations d’Homère »
Selon l’héritage anglais, le barde, dont le prototype est Ossian, représente pour les romantiques l’artiste parfait. À l’invention d’Ossian correspond une réinvention d’Homère. Homère sera pendant tout le XIXe siècle le prototype de ce que nous appelons « l’aède romantique », la théorie formulée par G. Vico dans La Science nouvelle (1725) et, surtout, l’hypothèse de F.-A. Wolf exprimée dans Prolegomena ad Homerum (1795) aidant. Précurseurs, continuateurs et contempteurs de la non-individualité d’Homère propageront l’image d’un Homère représentant le génie populaire. La « question homérique » se fondra ainsi dans une série d’amalgames et de confusions. Le résultat en sera une métaphore de la « personnalité d’Homère » – selon le mot de Nietzsche – au service d’un idéal esthétique prônant l’art sans art. C’est par ce principe que l’antiquité rejoindra la tradition populaire. Nodier et Mérimée, entre autres romantiques, le défendront aussi bien dans leurs écrits théoriques que dans leurs œuvres littéraires peuplées de figures d’artistes issus du peuple et dont les principales caractéristiques, parmi lesquelles la voix, méritent d’être présentées.
Jacques Dubois, « L’aphasie ouvrière dans le théâtre de Jean Louvet »
Figure de proue du mouvement des Jeunes Compagnies en Belgique francophone dans les années 1970-80, Jean Louvet a donné différentes pièces où il met en scène le peuple ouvrier de Wallonie au moment où celui-ci assiste impuissant au déclin irrémédiable de l’industrie lourde dont il fut l’acteur historique. Conversation en Wallonie, qui est ici analysé, narre l’ascension sociale de Jonathan Busiaux, fils d’ouvrier doué pour les études, et sa « sortie de classe ». Cette ascension est prétexte à la mise au jour de la négativité radicale à laquelle la classe ouvrière fut toujours vouée. Dépourvus de regard, de culture, de mémoire et surtout de parole, les ouvriers ont toujours été en quête d’une identité improbable. Le long tableau final de la pièce fait se rencontrer Jonathan et son père, revenu en fantôme du royaume des morts. Père et fils s’expliquent et se reconnaissent. Grégoire avoue à son fils qu’il ne s’est connu ouvrier qu’au moment où son fils est devenu, pour les autres classes, un « fils d’ouvrier » et un intellectuel. Sur fond de cette mise au clair rationnelle et affective, Louvet, qui croit au pouvoir actif de la parole, laisse entrevoir un avenir possible.
Corinne Grenouillet et Patricia Principalli, « Le parler du peuple dans les romans d'Aragon : entre "morale du langage" et carrefour démocratique »
Largement représenté dans le Monde réel et La Semaine sainte, le parler du peuple est d’abord un contenu idéologique, des références politiques, une culture particulière, véritable « morale du langage » qui permet de le reconnaître comme une voix communiste et militante. Mais il ne se réduit pas à ce seul aspect. En écrivain soucieux d’alimenter son écriture aux discours pluriels et de rendre compte de la complexité du monde, Aragon donne la parole à des personnages qui pour être d’origine populaire n’en sont pas moins dans le cynisme ou l’apolitique, comme c’est le cas pour les mendiants ou les domestiques. Ces voix gardent cependant une vocation démonstrative, dans la mesure où le lecteur est amené par le narrateur à invalider le discours des uns et à considérer celui des autres comme le témoignage d’une injustice intolérable. D’autres voix en revanche échappent, elles, à toute démonstration. Certaines s’inspirent d’archétypes romanesques, tels la concierge ou la prostituée. D’autres encore, énigmatiques figures féminines, impriment au roman le sceau d’une irréductibilité – éminemment romanesque – à tout contenu idéologique. C’est dire que l’univers populaire romanesque d’Aragon ne se résume pas à une voix incontestée, puisqu’il y inclut des voix multiples aux statuts divers : dans ce carrefour démocratique, chaque discours social est représenté. Car Aragon est d’abord un écrivain qui mène une réflexion sur la valeur, le sens et la forme des discours qu’une époque véhicule et sur la manière dont le roman, par essence polyphonique, peut les incorporer.
Charles Grivel, « Les Voix de la dénonciation dans le roman populaire fin de siècle : Dubut de Laforest »
Qui se tait vocifère, mais qui parle met, qu’il le veuille ou non, un vrai mors à sa bouche. (Anonyme)
Dubut, auteur malencontreusement tombé aux oubliettes, a fait, durant les dernières années du dix-neuvième siècle, d’abord, chez Dentu, dans la littérature revendicatrice ultrazolienne – mais ses objets sont mondains –, puis, chez Arthème Fayard, dans la dénonciation populaire – ultrapopulaire ! – , en haussant le ton et en forçant la dose. Je voudrais montrer l’enjeu de ce passage et la signification – remarquable – de ce tournant – et de ce détournement.
Reynald Lahanque, « Henri Calet, ce peu de voix »
À feuilleter l’ensemble de sa production, romans, récits, chroniques, reportages, on se convainc qu’Henri Calet (1904-1956) peut à bon droit être désigné comme un écrivain du peuple, au sens où le peuple est sans conteste son grand sujet. Il nous parle avec prédilection des petites gens, des humbles, des « misérables » de son demi-siècle, ceux des quartiers populaires de la capitale. C’est vers eux qu’il revient de texte en texte, et donc vers son propre passé, puisqu’il vient de là, et que c’est des siens qu’il parle, et des lieux qu’ils habitent. On définira sa manière comme un compromis élégant et efficace entre la discrétion respectueuse et le dévoilement critique. Calet invente un langage qui s’approprie les tours populaires pour les faire sonner autrement, il cultive le détournement des lieux communs sans détruire le monde commun sans lequel son projet littéraire perdrait tout son sens. Sa façon de s’appuyer sur la langue parlée passe par le goût de la concision, le sens de la formule laconique et du court-circuit verbal, elle réside dans la sobriété du récit et de la description, tout en tenant à la qualité de son humour, souvent pince-sans-rire, et mêlé de tristesse. C’est cette manière qui lui permet à la fois d’épouser le point de vue d’en bas et de se tenir toujours un peu à distance. Calet emprunte au français des bourgeois sa tenue et sa sobriété, il garde du français des gens de peu l’accent et la musique.
Béatrice Laville, « “Ces voix qui se sont tues” : Zola »
C’est avec L’Assommoir que Zola réussit le coup de force esthétique et idéologique d’une représentation des voix du peuple. La parole du peuple est au cœur même du projet esthétique, celui d’une mimésis qui renvoie à la complexité de la société. L’auteur fait ainsi voler en éclat une écriture sclérosée des discours. La mise en texte d’une parole populaire qui dans une coulée débordante envahit les divers niveaux d’énonciation, et conduit à un mixte des voix, ébranle les usages littéraires, dote ce roman d’une grande vertu polémique. La recomposition d’une oralité très travaillée dit le plaisir de la langue pour l’auteur, restaure la voix du conteur, et suggère aussi l’isolement du peuple et l’impossibilité d’un dire singulier. Seul exemple d’une telle théâtralisation de l’oralité dans l’œuvre de Zola. L’auteur rendra peu à peu le peuple aphasique, pour préférer une uniformité de langage. Dans les derniers romans zoliens, le narrateur est la seule autorité discursive, la seule voix. Le projet esthétique et idéologique s’est modifié, le post-naturalisme, magnifiant le rôle social de l’écrivain, se livre à une construction axiologique qui exclut altérité et dissonance et efface l’écho lointain de ces voix.
Florence Lotterie, « De la cacophonie révolutionnaire à l’unisson républicain : le peuple et ses voix dans le Nouveau Paris (1799) de Louis-Sébastien Mercier »
Le Nouveau Paris intègre l’univers sonore de l’effervescence révolutionnaire ; la Révolution se saisit ici comme étant celle de la prise de parole, réalisant un transfert de légitimité symbolique, de la « littérature » au journaliste et à l’orateur. Mais si le peuple parle, acclame, chante, s’enthousiasme en un « cri unanime » à l’occasion des grandes fêtes qui consacrent l’émancipation juridique et l’identité nationale (les « grandes journées », la fête de la Fédération), il est aussi, artificiel et divisé, le « peuple vociférant », masse violente et explosive d’où émergent les « sons discordants » de la férocité et du débordement saturnal. La dissonance signale alors, au-delà de l’hypothèse d’une bestialité populaire de nature, une crise de l’éloquence révolutionnaire et de la transparence perdue du langage, prostitué par la « logomachie » terroriste. La voix déréglée, en fureur, qui froisse l’oreille, est en effet celle d’un peuple dénaturé, qui suit de plus trompeuses voix et en épouse la rage maladive. Dans le Nouveau Paris, les voix du peuple sont donc au moins de deux ordres. Ou elles disent l’harmonie, sonnent juste et témoignent alors de l’unisson réalisé du contrat social ; ou elles discordent et révèlent alors, à travers l’ouragan de la « populace », de la « plébée », la crise de ce contrat social, fondé sur l’imposture des représentants : la « discordance » de la parole rejoint celle d’un monde où tout a été mélangé, où se multiplient les cohabitations burlesques. Pour réguler cette disharmonie, restent les voix réparatrices de la vertu : celle des « justes », celle des « grands hommes » en prosopopée (Rousseau, le vrai « ami du peuple ») ; celle de l’écrivain enfin, auquel De la littérature et des littérateurs, Du théâtre, avaient donné, avant la Révolution, une mission patriotique.
Jérôme Meizoz, « Ramuz et les voix du peuple ».
Il s’agira de se demander comment Ramuz répond à l’exigence de « devoir démocratique en littérature » (Wolf) au début du XXe siècle.En examinant les textes programmatiques de son œuvre (« Lettre à Grasset » et Paris notes d’un vaudois), nous mettrons en évidence une poétique fondée sur la loyauté à l’égard des ancêtres paysans. Cet ancrage volontariste dans le petit peuple, que Ramuz emprunte à Péguy, devient la justification de techniques stylistiques (transposition de l’oral-populaire) qui ont suscité bien des polémiques en France, même si des écrivains comme Barbusse, Giono ou Céline ont tôt reconnu l’intérêt des tentatives formelles du romancier suisse.
Marie-Françoise Melmoux-Montaubin, «L'œuvre romanesque de Jules Vallès: comment concilier "passion littéraire" et "passion sociale"»
Parler au peuple ou se faire le porte-voix des blouses, faire parler le peuple ? Tel est le dilemme auquel s’expose Vallès, tiraillé dans son oeuvre de romancier entre “passion littéraire” et “passion sociale”, selon les termes d’une lettre à Malot. Avec audace et dans le prolongement de son travail de journaliste, c’est la seconde voie qu’il choisit. Passée pourtant l’étape des premiers feuilletons, il ne sombre pas dans les clichés d’un lexique ou d’un style qui seraient mimétiques d’un hypothétique parler populaire et feindraient le réalisme. Bien au contraire, son œuvre romanesque, d’une grande richesse, montre qu’être défenseur des pauvres n’implique pas nécessairement, ou pas essentiellement, l’adoption d’une langue et de thèses “pauvristes”. C’est dans l’humour que se retrouve la « parole grasse, la gueule bien fendue, le rire large » du « petit-fils de paysans, d’ouvriers ».
Timothée Picard, « Donner voix au peuple à l’opéra : utopies et mystifications »
On s’intéresse ici à la question du lien entre peuple et opéra, question cruciale et ambiguë pour l’Europe des Nations, et qui pourrait se formuler à partir des débats suivants, consubstantiels au genre lyrique depuis son origine : à qui, dans sa formulation utopique, est destiné l’opéra ? Quelles en sont les finalités et, en particulier, est-il fait pour éduquer ou divertir ? Dès lors, qu’en est-il dans la pratique (l’opéra comme lieu et espace, l’opéra comme produit culturel) ? Enfin, qu’en est-il sur la scène : quelle représentation du peuple est-il donné ? L’hypothèse que l’on souhaite vérifier ici est que si l’ambiguïté idéologique de la notion de « peuple » est particulièrement forte à l’opéra, c’est précisément parce qu’elle est renvoie à l’ambiguïté esthético-politique d’un genre dont on n’a cessé, depuis quatre siècles, de réécrire le roman des origines –un roman impossible et fantasmatique.
Elisabeth Pillet, « Les paysans au café-concert : stéréotypes et voix divergentes »
Au XIXe siècle se développe à Paris et dans les grandes villes un spectacle très bon marché, le café-concert, qui deviendra la première forme du divertissement de masse en France. La composante populaire est importante parmi les auteurs et le public. L’article analyse un aspect de la représentation du peuple dans le répertoire, les chansons et textes sur les paysans. Ceux-ci reproduisent pour une large part les modèles littéraires dominants: la pastorale et l’idylle fleurissent dans d’innombrables romances à succès. En revanche l’image nouvelle, très péjorative, développée par le réalisme et le naturalisme, n’est guère présente au café-concert, qui poursuit la tradition de la farce : les paysans font rire, souvent par leur balourdise et leur ignorance ; mais certains d’entre eux, joviaux et rabelaisiens, ont une dimension carnavalesque. Celle-ci est très nette chez les personnages féminins, qui portent un regard critique et satirique sur la condition faite aux femmes. Quant aux chansons sociales et révolutionnaires, elles sont strictement censurées. Progressivement, sous l’influence de la censure puis des impératifs commerciaux – plaire à tous – le répertoire évolue dans un sens consensuel. A la fin du siècle la composante subversive a disparu, le comique est devenu parfaitement anodin.
Céline Pobel, « La représentation du peuple à travers ses prises de parole : du sociotype de Zola au contresociotype de Poulaille (Le Pain quotidien) »
Dans cette étude, nous nous intéressons à la manière dont la parole du peuple est organisée, mais aussi qualifiée et comment ce traitement participe à la construction d’une classe ouvrière littéraire, notamment lorsque les auteurs ont des origines sociales populaires. Comment l’émergence dans le champ de la production littéraire de voix venues du peuple va-t-elle modifier les représentations de celui-ci ? Claude Duchet a montré que dans Germinal, la parole ouvrière était rare, économisée, appauvrie. En reprenant les stéréotypes des classes dominantes de l’époque dont il fait partie, Zola y élabore un discours sociotypique. Dans Le Pain quotidien, Henry Poulaille, défenseur et acteur d’une littérature prolétarienne faite par le peuple lui-même, déconstruit le modèle ouvrier de Zola. Il conteste ainsi l’image dégradée du peuple pour la remplacer par celle beaucoup plus positive d’un peuple devenu adulte, se définissant par des qualités, par des « pleins » plutôt que des « creux ». Ce peuple possède le pouvoir des mots et attaque ainsi la bourgeoisie sur son terrain. Le sociotype véhiculé dans l’œuvre de Zola est ici renversé pour donner naissance à un discours contresociotypique.
Pierre-Louis Rey, « Le peuple chez Stendhal : le chœur et les solistes »
« Jacobin » auquel la saleté du peuple inspire de la répugnance, Stendhal n’est guère mieux disposé à entendre sa voix. Le discours que Julien Sorel adresse aux jurés ne fait pas entendre la voix du peuple, mais celle d’un esprit distingué qui a su rompre avec ses origines populaires. Les expressions d’une voix collective sont, au total, extrêmement rares dans son œuvre romanesque. Si Stendhal fut touché par la misère populaire, ce fut dans tous les cas par des voix isolées, qui ne haussaient pas le ton et évitaient l’emphase. On le découvre surtout sensible à des intonations, qui offrent plus de charme quand elles sont italiennes. Le peuple italien de son époque n’avait guère les moyens de faire entendre sa voix, mais Stendhal en trouve un écho à l’opéra et au théâtre. Et s’il lui arrive d’exprimer sa sympathie pour le peuple de Paris, ce n’est pas à l’occasion de manifestations de rue, mais dans ces salles où le public se révèle, par sa spontanéité, heureusement étranger à l’esprit français.
Gisèle Séginger, « Les voix du peuple au service de la contre-révolution : Barbey d’Aurevilly »
Dans l’œuvre de Barbey d’Aurevilly les voix populaires sont liées à la représentation de la Normandie et à une évolution vers un conservatisme et un catholicisme qui transformeront sa conception du roman : il s’oriente vers un nouveau type d’intrigue faisant une place au légendaire et aux voix populaires qui en sont le véhicule. L’Ensorcelée offre un bel exemple de polyphonie, dans un récit qui propose une nouvelle écriture de l’histoire. Les voix populaires contribuent à l’élaboration d’une poétique du roman dont Barbey d’Aurevilly veut faire une arme de combat contre le matérialisme et l’égalisation bourgeoise, contre le monologisme lié à une conception universaliste et rationaliste du langage, contre enfin une certaine conception de l’Histoire. Barbey d’Aurevilly pratique une « arrière-chouannerie » sur le plan de l’écriture, par l’élaboration d’une poétique et d’un style qui font place à l’hétérogénéité des voix populaires. Il donne une force à son écriture grâce à la puissance imageante de la langue populaire. Il enrôle les voix du peuple contre le rationalisme, contre les certitudes faciles qui rassurent à bon compte, contre une confiance qui fait de l’homme un idolâtre de lui-même, contre tout ce qui fonde l’idéologie bourgeoise qu’il refuse. Il invente un type de narrateur dont la fonction n’est pas d’expliquer mais de compliquer les situations par l’entrelacement de voix multiples.
Marie-Ève Thérenty, « Voix, causes et cris du peuple. Le laboratoire journalistique (Sand, Lamartine, Vallès) »
Cet article, à partir d’expériences de journaux populaires fondés par des écrivains majeurs du dix-neuvième siècle et engagés en politique (Alphonse de Lamartine, George Sand et Jules Vallès) réfléchit sur l’atelier linguistique et littéraire que constitue la presse au dix-neuvième siècle. Constructions polyphoniques de voix alternées, jeu sur l’insertion du roman populaire dans l’univers du journal, invention de voix populaires fictives, utilisation du reportage, usage de l’italique pour indiquer un décrochement linguistique, création du cri dans une appréhension prérévolutionnaire du monde : le journal forme bien un véritable laboratoire pour les écrivains en quête de traductions de la voix populaire dans des expériences loin de l’argot feuilletonesque, du mimétisme réaliste ou de la parodie molièresque. Ces expériences inspirent le roman qui s’alimente de cette réflexion dans une pratique plus symbolique que véritablement mimétique de la parole du peuple, à distance des expérimentations réalistes et naturalistes contemporaines.
Sandra Travers de Faultrier, « Nudité de la voix sans voix : Gide »
Sans doute est-il surprenant de parler de la voix du peuple à partir des écrits d’André Gide. Le peuple y apparaît de fait plus comme une entité organique. Les évocations du peuple sont systématiquement accompagnées de descriptions physiques animées par le désir (les jeunes garçons d’Afrique du Nord, les jeunes marins ou paysans italiens ou français) ou la compassion pour les corps souffrants (Le Voyage au Congo, Le Retour du Tchad) plutôt qu’associée à une voix. Pourtant il est possible d’affirmer que cette voix est présente. L’épilogue enrichissant Les Souvenirs de la Cour d’Assises donne à entendre la voix du peuple incarné par les voyageurs d’un wagon de troisième classe. Cette voix qui porte une parole noyée ou sous emprise du corps permet d’avancer qu’il s’agit d’une voix débordée par le corps . Mais cette voix est également une voix corsetée par une langue qui marginalise le sens et la compréhension dans les Souvenirs de la cour d’assises. Cependant cette voix n’est pas, dans sa singularité, associée à une quelconque « authenticité ». Cette voix est un masque comme le sont celles des autres catégories sociales selon le pressentiment gidien d’une informité de la personne humaine en attente de masque, le cri de nature cher à Diderot trouvant en Gertrude la confirmation de sa nudité.
Alain Vaillant, « Portrait du romancier réaliste en reporter-interviewer du peuple »
Au moins depuis Bakhtine et ses propositions théoriques sur l’« art du roman », il est généralement admis que le roman réaliste, notamment à la différence de la poésie, a vocation non seulement à dire et à décrire le réel, mais à mener à bien cette description en accueillant l’ensemble divers et polyphonique des discours sociaux : de tous les discours sociaux, même de ceux qui, par leur caractère populaire, paraissent les moins assimilables à la voix singulière du narrateur (ainsi qu’à la présence auctoriale qu’elle implique).
Cependant, cette postulation théorique, bien qu’elle ait largement contribué à renouveler la lecture et l’interprétation (devenue « sociocritique ») des textes fictionnels, ne doit pas conduire à sous-estimer la résistance esthétique et éthique du roman à cette intrusion de la polyphonie sociale. La présente communication visera d’abord, dans une perspective rétrospective et critique, à faire le point sur ces réticences persistantes du roman réaliste, qui tiennent autant à la nature même du genre et aux finalités que les écrivains lui assignent qu’aux moyens formels dont ils disposent pour les réaliser.
Il faut cependant bien reconnaître que, dans le dernier tiers du XIXe siècle – et tout particulièrement dans les romans naturalistes de Zola –, la présence des voix populaires paraît moins tamisée par l’écran ironique ou esthétisant de l’instance énonciative. L’hypothèse qui sera ici esquissée est que cette évolution du roman réaliste découle moins d’un phénomène propre au genre qu’à l’imprégnation de la poétique fictionnelle par les formes de l’écriture journalistique, qui domine de façon presque hégémonique le monde de l’imprimé au XIXe siècle et qui influe très profondément et très durablement – tout le roman réaliste du XXe siècle lui en est redevable – sur la perception du réel social
Roselyne Waller, « C’est plutôt la leur de langue que j’ai perdue » : Annie Ernaux et la langue populaire »
Annie Ernaux, « émigrée de l’intérieur », fait de la « déchirure sociale et culturelle » du transfuge de classe le centre de son œuvre. Elle s’intéresse essentiellement dans cette perspective à la question de la langue, dont elle scrute le rôle fondamental dans la constitution d(une identité de transition. Sommée de se détourner d’un langage et d’une culture populaires dévalorisés, elle les renie dans un premier temps, non sans s’éprouver comme clivée et coupable. Mais l’écriture permettra à l’auteur(e) de restaurer un lien avec la langue de l’origine, de « sauver de l’effacement » une culture dont elle s’attache à cerner les caractéristiques et les lois de fonctionnement, de réparer la trahison. Loin de tout pittoresque langagier, elle inscrit la langue populaire dans ses textes non seulement de manière directe, mais aussi par le biais d’une transmutation littéraire : l’économie du style comme l’hybridité générique des écrits permettent de la comprendre dans la voix de l’écrivain(e).
Nelly Wolf, « Autour de La Fille Elisa, d’Edmond de Goncourt »
La tradition rejette la langue populaire du côté de l’oralité. Or, en 1877, La Fille Elisa d’Edmond de Goncourt fait surgir le personnage du peuple écrivant, autour duquel s’élabore une intrigue linguistique. Les lettres du peuple font système avec l’écriture lettrée. D’un côté, révélant les fautes et l’agrammaticalité de l’écrit populaire, elles confirment la supériorité de l’écrivain légitime. D’un autre côté, elles contestent le monopole que le lettré exerce sur les lettres, et lui posent la question du partage de la langue.
« Lecteurs, écoutez le peuple ! » par Guillaume Pinson, Acta Fabula, Mai-Juin 2007 (Volume 8, numéro 3), URL : www.fabula.org/revue/document3371.php. à propos de : Corinne Grenouillet et Éléonore Reverzy (dir.), Les Voix du peuple dans la littérature des XIXe et XXe siècles, Strasbourg, Presses Universitaires de Strasbourg, 2006, 399 p.
Voici les actes d’un colloque qui s’est tenu à Strasbourg en mai 2005, un fort volume de quatre cents pages qui regroupe pas moins de vingt-huit contributions. Les Voix du peuple entend explorer deux siècles de littérature en se donnant le mandat de réfléchir plus précisément aux phénomènes d’oralité populaire dans la littérature. D’emblée, on imagine la variété et la complexité des phénomènes linguistiques et littéraires que les conférenciers avaient à affronter : les voix du peuple, ce sont non seulement les paroles qui émanent du peuple, mais aussi celles qui lui sont prêtées, qui lui sont dérobées, qui lui sont imposées ou encore qui sont passées sous silence – ce terrible silence du peuple que Michelet déplorait dans son œuvre, à la fin de sa vie, comme le rappellent Grenouillet et Reverzy en introduction (« Liminaire », p. 9).
Phénomène complexe s’il en est, la question du peuple se pose depuis 1789 de manière aiguë et paradoxale : l’acte de naissance historique du peuple survient au moment même où s’invente l’individu moderne, cela tout autant qu’apparaît dans le champ littéraire et artistique la course à la singularité, qui rendra le rapport de l’art avec les « masses » toujours problématique. C’est pourquoi la perspective historique de longue durée qu’adoptent Les Voix du peuple devait permettre d’analyser les transformations poétiques en terme de ruptures ou d’évolutions. D’une part, certains événements historiques contribuent à délimiter la place que le peuple peut occuper dans l’imaginaire : les révolutions (1789, 1848), certains moments charnières dans la vie politique et sociale (la Commune, le Front populaire), les grandes déflagrations telle que les deux Guerres mondiales, ou encore les nouvelles exigences démocratiques qui apparaissent au XIXe siècle 1. D’autre part, la littérature dont il est ici question, et qu’on ne peut qualifier de simplement populaire, car l’ouvrage excède largement cette catégorie, connaît et fonde sa propre histoire, elle retravaille des espaces défrichées ailleurs ou par ses précurseurs : ainsi par exemple des romanciers du peuple au XIXe siècle – Sand, Vallès, Zola… – dont les œuvres sont en intertexutalité permanente avec ce genre populaire par excellence qu’est le journal; ainsi plus tard de Ramuz, Céline ou Giono ouvrant la voie(x) à la narration oralisée, ce fameux « roman parlant » dont a traité J. Meizoz 2, en rupture avec la littérature réaliste du XIXe siècle au style normé englobant (et donc en décalage avec) la parole populaire. L’ouvrage de Grenouillet et Reverzy permet-il de saisir toute la complexité des évolutions que suppose la saisie de deux cents années de littérature? Certes non, car comme toute publication d’actes de colloque, il souffre parfois d’un émiettement du propos. Mais Les Voix du peuple sont l’occasion de la réunion d’un chœur de collaborateurs qui offre la riche perspective panoramique d’un sujet inépuisable.
Les directrices ont opéré un découpage du volume en cinq parties : 1. Voix révolutionnaires et voix romantiques; 2. Polyphonies romanesques; 3. Voix et chants; 4. Légitimité d’une parole populaire; 5. Voix d’en bas. Ce choix pourrait certes être remis en question compte tenu de l’équilibre précaire sur lequel il se fonde : la courte 3e partie (composée de trois contributions) apparaît un peu en décalage avec le reste de l’ouvrage, certains articles auraient pu figurer dans l’une ou l’autre partie, tandis que l’on voit mal à quoi renvoie l’expression des « Voix d’en bas » (5e partie), sinon pour faire écho à la très médiatisée « France d’en bas » qui connaît son heure de gloire dans le discours social depuis quelques années.
En fait, divers parcours sont bien sûr envisageables au travers d’un ouvrage aussi dense, à commencer par l’incontournable problème du réalisme qui se pose à la prise en charge de la parole et du lexique populaires. Le réalisme, c’est avant tout une question de rapport que le texte entretient, ou négocie, avec ce qui est tenu pour « réel ». Ce rapport, Nelly Wolf (« L’oral et l’écrit. Autour de La Fille Élisa d’Edmond de Goncourt ») montre qu’il est précisément un objet essentiel de « l’intrigue linguistique » (p. 135) de La Fille Élisa : le discours lettré de l’écrivain légitime, friand de néologisme et d’une « agrammaticalité lettrée », rencontre la réalité de l’écrit du peuple et son « agrammaticalité sans lettres » (p. 139), au travers du personnage populaire de Tanchon. Le roman fait donc « dialoguer deux infractions » (p. 140) qui ont le pouvoir de rappeler les postures de l’écrivain face à la démocratisation du langage écrit. Pour sa part, Sandrine Berthelot (« Les Scènes de la vie de bohème ou "l’enfer de la rhétorique et le paradis du néologisme" ») explore une autre forme de relation et propose de voir chez Murger le renouveau d’un romantisme qui va à la rencontre du peuple, du réel, car « les bohèmes appliquent littéralement l’art au réel Au travers de plusieurs contributions, le recueil propose une réflexion intéressante sur le rapport entre l’esthétique réaliste et une poétique historique des formes de l’expression populaire. La contribution d’Alain Vaillant (« Portrait du romancier en reporter-interviewer du peuple ») donne à saisir l’une des grandes mutations du roman réaliste à partir du XIXe siècle, qui n’est pas sans conséquence sur les représentations de la parole populaire, celle de l’avènement d’une « littérature-texte » chargé de « représenter le réel » (p. 104), au contraire d’une « littérature-discours » qui dominait sous l’Ancien Régime, soumise aux contraintes rhétoriques. Dans le régime moderne de la représentation, le roman entre alors en interaction avec la « polyphonie journalistique » (p. 108), cela de manière tout à fait évidente chez Zola comme le montre Vaillant. On retrouvera une hypothèse également médiatique dans le texte de Marie-Ève Thérenty (« Voix, causes et cris du peuple : le laboratoire journalistique des écrivains »), qui propose de considérer les journaux populaires d’écrivains comme les lieux d’une libre expérimentation littéraire. Insérant la fiction dans le journal – c’est le cas de Lamartine et de Sand – ou au contraire attentif à « écouter la rue et créer des voix du peuple grâce au reportage naissant » (p. 116) – avec Hugo et Vallès –, l’écrivain trouve dans le journal une médiation fascinante. À plus d’un siècle de distance, certaines expériences esthétiques paraissent s’employer à poursuivre le fécond dialogue entre la fiction et des modes de représentation inspirés du champ médiatique, comme l’enquête ou le reportage. On pourrait y inclure les oeuvres de Jean-Paul Goux et de François Bon, dont traite André Chauvin (« Voix ouvrières dans Mémoires de l’enclave (Jean-Paul Goux) et Daewoo (François Bon) »). Enquête de terrain, collecte d’informations, entretiens : un intense travail préparatif propre au documentaire constitue la source d’une « hétérogénéité générique » (p. 362), laquelle donne tout leur impact à des oeuvres éminemment hybrides et polyphoniques.
Le lexique populaire fascine l’écrivain et, pour ce qui est du XIXe siècle, Alfred Delveau, avec son Dictionnaire de la langue verte (1866), pourrait être perçu comme une référence exemplaire. Mais Jules Vallès, comme le montre Marie-François Melmoux-Montaubin (« L’Oeuvre romanesque de Jules Vallès : comment concilier "passion littéraire" et "passion sociale"? ») ne cède pas au mirage réaliste du lexique populaire : Vallès ne veut par « faire peuple », il accepte plutôt de fonder sa littérature sur une « tension » : « Seule une écriture personnelle peut porter la voix du peuple; mais seul celui qui a dépouillé la part du peuple en lui peut se faire porte-voix du Peuple tout entier » (p. 250). Au XXe siècle, la question du lexique se pose autrement. Comme le rappelle la contribution de Philippe Baudorre (« "Les gros mots" : Le Feu d’Henri Barbusse »), Barbusse ouvre la voix du « roman parlant », notamment dans le fameux 13e chapitre du Feu consacré aux « gros mots » des poilus. Ces mots s’imposent au personnage-narrateur comme les signes d’un juste témoignage de « la voix populaire [qui] revendique sa place, veut envahir l’espace romanesque » (p. 179). Le même souci du lexique se pose à Poulaille, comme le rapportent André Not et Catherine Rouayrenc (« La parole du peuple dans le roman est-elle possible? La voix de "la" Radigonde (Poulaille, Le Pain quotidien) »), en même temps que s’élaborent des « stratégies narratives » (p. 160) qui mettent en relation un langage et des attitudes. Poulaille est aussi le sujet de la contribution de Céline Pobel (« La représentation du peuple à travers ses prises de parole : du sociotype d’Émile Zola au contresociotype d’Henry Pouilaille (Le Pain quotidien) »), laquelle s’interroge sur la nature d’une voix populaire chez un écrivain comme Poulaille qui, au contraire de Zola, est issu du peuple. L’appartenance aux classes populaires et les « postures » (Meizoz) qu’elle suppose chez l’écrivain est aussi en effet abordé par Les Voix du peuple. On ne s’attend généralement pas à entendre les voix du peuples chez Gide, mais Sandra Travers de Faultrier, dans « Nudité de la voix sans voix : Gide (Souvenirs de la Cour d’assise) », montre que l’épilogue de ce texte offre une riche association entre le corps et la voix populaire.
Les Voix du peuple montrent bien comment toute une série d’oeuvres, sur deux siècles, sont fascinées par l’esthétique populaire; elles cherchent à retrouver la beauté simple et naïve qui s’en dégage, projet qui a rencontré un large écho on le sait chez les romantiques. La contribution de Michel Brix sur les chansons (« Une renaissance romantique : les chansons populaires ») rejoint celle de Barbara Dimopoulou sur les représentations d’Homère au XIXe siècle (« Voix et inspiration de l’aède romantique, ou quelques représentations d’Homère »); toutes deux relèvent l’intérêt des romantiques pour les traditions populaire en se référant notamment à Nerval, Nodier, Mérimée et Sand. Elisabeth Pillet (« Les paysans au café-concert : stéréotypes et voix divergentes ») montre pour sa part tout ce que les représentations de paysans au café-concert, essentiellement sous le Second Empire, doivent aux traditions littéraires, entre la satire et l’idéalisation. Dans cette quête romantique populaire, Stendhal apparaît néanmoins en décalage. Pierre-Louis Rey (« Le peuple chez Stendhal : le choeur et les solistes ») rappelle que l’auteur de la Chartreuse a la curieuse particularité d’accorder peu d’attention au peuple, et même de le mépriser, si ce n’est lorsque certaines voix se donnent à saisir par les médiations de l’art, en l’occurrence à l’opéra et au théâtre. Au contraire, on peut affirmer que L’Assommoir prolonge la fascination romantique pour le génie populaire. Zola, comme le montre Béatrice Laville (« "Ces voix qui se sont tues" : Zola »), compose-là le roman des Rougon-Macquart le plus attentif à l’esthétique de l’oralité; les oeuvres ultérieures « sont finalement plus conventionnelles, plus "normées" : les segments discursifs attribués au peuple sont particulièrement encadrés par le discours d’autorité du narrateur, l’indistinction recherchée dans L’Assommoir n’est plus de mise » (p. 133). Ce roman serait donc l’un des précurseurs du « roman parlant » comme le pratiquera Ramuz au siècle suivant. Dans son texte (« Ramuz et les voix du peuple »), Jérôme Meizoz aborde la fidélité de l’auteur suisse à ses origines populaires et sa volonté de traduire cette fidélité dans une esthétique, qui est aussi une forme de revendication poétique. Ramuz, dans une lettre à Benard Grasset en 1929, oppose ainsi le français normé parisien aux voix de la Suisse romande, ou, selon son heureuse forumule, « le "français de conserve" (écrit, scolaire, centralisé) au "français de plein air" (oral, quotidien, décentralisé) » (p. 305).
Outre le réalisme et les recherches esthétiques, la politique est un aspect central du recueil. Forme de « fiction politique », le peuple est au centre d’un « malaise dans la démocratie 3 » et, comme l’indique Grenouillet et Reverzy en introduction, « seul l’art […] et la littérature font entendre la voix du peuple [et] sont [pour lui] l’unique espace de représentation » (p. 11). Pour certains écrivains, et sur le constat de cette absence du peuple, voire son silence comme en convenait Michelet, il s’agit de redonner au peuple une dignité, une grandeur dans laquelle l’épique rejoint le politique. La contribution de Florence Lotterie (« De la cacophonie révolutionnaire à l’unisson républicain : le peuple et ses voix dans le Nouveau Paris (1799) de Louis-Sébastien Mercier ») laisse entendre au fond qu’à l’origine de la modernité politique, il y a eu le bruit du peuple (non loin du « cri » de Vallès) et sa fureur vociférante, comme on peut l’entendre chez Mercier. Mais celui-ci décèle subtilement une « crise de la rhétorique [...] indissociable d’une crise morale et politique » (p. 25) qui accompagne la démagogie de la Terreur. Plus tard, un autre traumatisme, celui de la Commune, aura ses effets dans l’imaginaire du peuple et sa relation au politique. Annie Camenisch (« Voix du peuple dans Francia (1871) de George Sand ») décèle dans Francia un télescopage temporel entre une fiction située en 1814 et l’allusion à l’actualité de l’année 1871 : Sans fait dialoguer deux invasions, russe naguère, prussienne au moment de la rédaction du roman, ainsi que deux visions du peuple parisien, trahi autrefois, héroïque et mature en 1871. Tout autre est la représentation du peuple chez Barbey d’Aurevilly, ses finalités sont différentes, notamment dans une oeuvre comme L’Ensorcelée qu’explore Gisèle Séginger (« Les voix du peuple au service de la contre-révolution : L’Ensorcelée de Barbey d’Aurevilly »). Barbey met les voix populaires au service de son « combat contre le matérialisme et l’égalisation bourgeoise, contre le monologisme lié à une conception universaliste et rationaliste du langage, contre enfin une certaine conception de l’Histoire » (p. 145); il sait user pour cela de la force suggestive de la polyphonie des voix populaires. Pour sa part, couvrant une période plus tardive, Thimothée Picard montre bien (« Donner voix au peuple à l’opéra : utopies et mystifications ») comment la relation entre l’opéra et le peuple pose la question fantasmatique des origines de l’opéra, tout particulièrement vers la fin du XIXe siècle dans l’Europe qui voit se constituer les Nations modernes. Couvrant la même période, Charles Grivel aborde pour sa part le cas d’un écrivain oublié, celui de Dubut de Laforest (« Dubut de Laforest : les voix de la dénonciation »), auteur d’obédience naturaliste qui déviera vers la revendication sociale en faisant le pari du succès populaire. Enfin, au XXe siècle, on retrouve chez Aragon et le cycle du Monde réel une attention diversifiée au peuple et à sa polyphonie, et s’il y a bien une « corrélation entre l’engagement politique d’Aragon et sa représentation des personnages populaires », l’écrivain sait aussi la dépasser pour proposer ce que Corinne Grenouillet et Patricia Pincipalli (« Le parler du peuple dans les romans d’Aragon : entre "morale du langage" et carrefour démocratique ») identifient comme un « carrefour démocratique » (p. 182). Ces voix dépassent tout programme politique, elles excèdent la « morale du langage » dans laquelle certains personnages militants se reconnaissent.
Certains textes du recueil abordent plus indirectement la politique, en posant plutôt le problème de la parole populaire sous l’angle du rapport à un centre, la mise en scène de la voix du peuple apparaissant comme une forme de jeu sur le décentrement. Pour Michel Crouzet (« Paul-Louis Courier, la voix du peuple et le massacre de l’idylle »), Courier propose l’idylle comme une forme de résistance politique au déracinement imposé par l’État moderne. Autre cas, celui de Henri Calet, écrivain subtil qui sait cultiver dans ses textes « le détournement des lieux communs sans détruire le monde commun sans lequel le projet littéraire de l’auteur perdrait tout son sens » (Reynald Lahanque, « Henri Calet, ce peu de voix », p. 322). Autre cas encore, celui de Malaquais, où la curieuse expérience linguistique populaire des « javanais » est le fondement d’une communauté d’exilés qui sont réunis en Provence, dans les années 1830, comme le montre Anne Deffarges (« Jean Malaquais : l’oralité dans Les Javanais »). On pourrait également inclure ici l’ouvrage de Marguerite Duras, La Pluie d’été, paru en 1990; Constanze Baethge (« Parole atopique et sagesse infuse dans La Pluie d’été de Marguerite Duras ») en rappelle la gestation, qui remonte au début des années 1970 et qui, avant de devenir roman, a été successivement un conte (Ah Ernesto) et un film (Les Enfants, 1984). La parole populaire s’y donne à entendre au travers de la voix d’un jeune écolier émigré de banlieue qui refuse d’aller à l’école et qui remet en question la culture légitime. Une certaine forme de décentrement par le populaire se donne à lire aussi chez Annie Ernaux, héritière d’un milieu populaire mais « transfuge social » (p. 339), ainsi que l’explique Roselyne Waller (« "C’est plutôt la leur de langue que j’ai perdue" : Annie Ernaux et la langue populaire »). Le décentrement est ici vécu de l’intérieur, tandis que le centre « perdu » est bien le monde populaire des origines.
Soulignons pour conclure l’intéressante contribution de Jacques Dubois dans un registre où on a moins l’habitude de le lire, et qui porte sur un dramaturge wallon, Jean Louvet (« Conversation en Wallonie de Jean Louvet. Aphasie ouvrière et pouvoir du verbe »). Dubois montre notamment combien le monde ouvrier de Louvet est une « expérience de vie » (p. 355) et que la fiction a le pouvoir d’exprimer un habitus difficile autrement à mettre en mots, en paroles : « elle débusque par des moyens à la fois concrets et économiques un écheveau de relations et mécanismes que la sociologie ne met au jour qu’au prix de procédures beaucoup plus lourdes et moins suggestives » (p. 356).
Au fond, le recueil des Voix du peuple est là pour dire cette force de la fiction à exprimer ce qui est habituellement confiné au silence, ou difficilement accessible aux outils « objectifs » des sciences humaines. Au-delà de sa cacophonie, le gros recueil dirigé par Grenouillet et Reverzy laisse entendre que par leurs expériences esthétiques diverses, leurs polyphonies, leur mise en question du politique, l’art et la fiction des deux derniers siècles ont racheté l’échec de Michelet.
Guillaume Pinson, publié sur Acta le 11 juin 2007
Notes :
1.Nelly Wolf, Le Roman de la démocratie, Presses universitaires de Vincennes, coll. « Culture et société », 2003.
2. Jérôme Meizoz, L’Âge du roman parlant (1919-1939) : Écrivains, critiques, linguistes et pédagogues en débat, Genève, Droz, 2001.
3. Grenouillet et Reverzy citent ici l’ouvrage essentiel de Pierre Rosenvallon, Le Peuple introuvable, Gallimard, coll. « Folio Histoire », 1998.
Pour citer cet article : Guillaume Pinson , "Lecteurs, écoutez le peuple !", Acta Fabula, Mai-Juin 2007 (Volume 8, numéro 3), URL : www.fabula.org/revue/document3371.php
Avec vingt-huit contributions, organisées dans cinq chapitres, le livre aborde « la voix du peuple » (Michelet) ou plutôt « la manière dont le peuple se dit » en essayant « d’écouter et de faire entendre ces voix dans les œuvres littéraires et musicales qui l’ont répercutée » (« Liminaire », 6). Donner une voix au peuple est une idée nouvelle en littérature, directement liée à la Révolution et à ses changements politiques et culturels. Mais donner une voix au peuple est aussi une invention du XIXe siècle, et la distribution des articles le reflète : les contributions à un sujet de ce siècle sont nettement plus nombreuses que celles consacrées au siècle suivant. Ceci est d’une part lié à l’évolution littéraire, avec une avant-garde croyant pouvoir dépasser de tels clivages et une littérature sociale divisée entre le populaire et le prolétariat dans la première moitié du XXe siècles, mais est aussi lié au fait que pour une grande partie de la littérature de la deuxième moitié du siècle dernier, et plus encore la littérature contemporaine, le peuple est devenu une idée obsolète, « un objet qui s’éloigne dans le temps » (16), comme les deux éditrices le constatent avec la dernière phrase de leur excellent « Liminaire ».
D’une manière générale, les cinq chapitres se suivent chronologiquement et la chronologie domine aussi à l’intérieur des chapitres. Les titres des chapitres ne sont pourtant pas toujours évidents : si le dernier chapitre, avec cinq contributions consacrées à la littérature de la deuxième moitié du XXe siècle s’appelle « Voix d’en bas » (315-377), d’autres chapitres pourraient aussi bien porter ce titre.
L’ensemble commence avec six articles dédiés aux «Voix révolutionnaires et Voix romantiques » (19-97), allant de Mercier jusqu’à Murger. Florence Lotterie (« Le Nouveau Paris de Louis-Sébastien Mercier : de la cacophonie révolutionnaire à l’unisson républicain », 19-28) montre clairement que Mercier, depuis le Tableau de Paris, s’adresse bien au peuple, mais qu’il décrit, observe, juge et critique plutôt ses voix qu’il ne laisse la parole au peuple. Mais si Mercier fait l’apologie d’une « régulation civique du langage » (27), on assiste à une dénonciation de la voix populaire et révolutionnaire. Et si ces voix sont filtrées « par le tribunal de la raison de l’écrivain-philosophe » (28), c’est peut-être un trait qui caractérise nombre de « voix » littéraires du XIXe siècle.
Ceci vaut peut-être aussi pour « Une renaissance romantique : les chansons populaires » (29-40) de Michel Brix. Les anthologies de chansons populaires dans la tradition de Herder veulent montrer l’authentique grâce à l’oral, mais l’idéal de la poésie populaire n’a souvent rien de populaire, même si l’idéalisation parfois naïve contribue à faire du peuple « une réalité digne de la plume des auteurs littéraires » (40). Le modèle de référence des origines de cette poésie est Homère et Barbara Dimopoulou analyse (les) «Voix et inspiration de l’aède romantique, ou quelques représentations d’Homère » (41-53). De Nietzsche à Wolf et de Schiller à Vico, Homère représente « l’âme poétique d’un peuple » (42) et des poètes comme Nodier ou Mérimée se mettent à la recherche d’aèdes dans le présent et dans le passé. Mais les aèdes sont plutôt une projection de l’idéal romantique et la distance entre « les voix du peuple » de la première moitié du XIXe siècle et cette idéalisation aurait pu être plus soulignée. L’article de Michel Crouzet renforce cette distance: consacré à «Paul-Louis Courier, la voix du peuple et le massacre de l’idylle » (55-76), l’article montre comment « il [Courier] est la voix du peuple, il parle à sa place, en sa faveur, il le fait parler » (55). Crouzet évoque le statut problématique de l’identité littéraire d’un tel projet qui doit être basée sur la volonté de « rester peuple » (58) et il analyse les conséquences d’un tel choix qui mène à une pastoralisation de la Touraine, qui en fait un « espace de la différence » (67) que les pamphlets dans lesquels parle le peuple (ou qui parlent pour lui) veulent défendre contre l’intrusion citadine de la modernité : la voix du peuple ne peut exister que dans un monde pastoral. Ce monde existe aussi chez George Sand, et Annie Camenisch s’intéresse aux « Voix du peuple dans Francia (1871) de George Sand ». Jouant sur deux plans (celui du temps de la fiction pendant la Première Restauration et celui du temps de l’écriture en 1871), le silence populaire vis-à-vis de la première occupation de 1814 est comparé à la résistance héroïque de 1870-71 (mais pas à la Commune). La voix collective est illustrée par celle d’un nouveau Gavroche, celle du frère de la protagoniste, mais cette voix n’est pas émancipée, elle est surtout décrite par la narratrice (« une langue nouvelle »). Les voix libérées de/par la Commune ont rendue l’écrivain très prudent. On ne voit pas très clairement pourquoi l’article de Sandrine Berthelot (« Les Scènes de la vie de bohème ou “l’enfer de la rhétorique et le paradis du néologisme” », 87-97) ne précède pas celui d’Anne Camenisch. Qualifiant la voix de l’auteur déjà avec la citation du titre, elle la désigne comme « Une langue populaire bigarrée » (89-91), « directement héritée du romantisme » (91-94) pour lui accorder d’être arrivée « Du romantisme au réel » (94-97). Si Murger a réussi à « inventer une littérature qui transforme littéralement le réel » (96), Sandrine Berthelot a raison de conclure que son œuvre « poursuit le romantisme plutôt qu’elle n’est le manifeste d’une langue populaire inouïe » (97), peut-être parce que la bohème (et surtout celle de Murger) ne peut ni ne veut être populaire. L’ensemble des six contributions montre donc que les voix du peuple de Mercier jusqu’à Murger sont plus romantiques que révolutionnaires et que le romantisme se sert plutôt du peuple qu’il ne lui donne la possibilité de faire entendre sa voix ; un article consacré au théâtre du Hugo (le grand absent du volume) aurait pu éclaircir ce phénomène.
Le deuxième chapitre, le plus important du volume, réunit sous le titre « Polyphonies romanesques » (101-204) neuf études, de la deuxième moitié du XIXe siècle à la première du XXe siècle. Alain Vaillant («Portrait du romancier réaliste en reporter-interviewer du peuple », 101-112) démontre de manière convaincante qu’à l’opposé de la polyphonie romanesque postulée par Bakhtine, le roman français, dans la tradition de l’idéologie romantique, est caractérisé par une « esthétique unifiante et monologique » (103) qui n’est mise en question qu’à partir des romans de Zola. Les trois obstacles de la polyphonie (inutilité de faire parler le peuple, subjectivation textuelle à cause du je auctorial, utilisation du style indirect libre pour annexer le langage populaire) sont surtout dépassés par les écrivains « interviewer-reporter du social » (111), dont Émile Zola. Vaillant se réfère exclusivement à Zola, mais d’autres contributions évoquent d’autres cas de figure au moins aussi importants dans ce contexte. C’est le cas de Marie-Ève Thérenty (« Voix, causes et cris du peuple : le laboratoire journalistique des écrivains », 113-124) qui le montre grâce à l’exemple de Jules Vallès, auquel est consacré une contribution d’un autre chapitre. Même si on peut avoir des doutes sur le fait que la presse de masse « propose une voix du peuple » et que le Petit Journal soit « le premier journal authentiquement populaire » (114-115), cette presse devient le point de départ d’une réflexion sur la parole populaire. Beaucoup plus que l’exemple de Lamartine (journaliste et romancier), celui de Vallès permet de penser une réversibilité entre auteur et lecteurs et raconte « la maturation de la voix populaire » sans passer par une retranscription littérale de la parole populaire : le peuple devient « objet du discours et sujet d’écriture » (Rancière). Béatrice Laville (« Ces voix qui se sont tues », 125-134) montre que si Zola est bien celui qui travaille avec des effets d’oralité, surtout dans L’Assommoir, il est aussi celui qui exclut les langages sociaux dans ses cycles suivants. Si l’effacement doit servir l’avènement de la société future, on peut se demander si les effets d’oralité – à la différence d’un Vallès – ne sont pas surtout des procédés littéraires (Zola ne parle pas sans raison de la « forme » qu’on lui reproche). Nelly Wolf, dans « L’oral et l’écrit autour de La Fille Elisa d’Edmond de Goncourt » (135-144) va encore plus loin dans ce sens. Avec l’exemple du nouveau « personnage du peuple écrivant » (135) que représente la protagoniste, l’auteur du Roman de la démocratie (2003) explique une étape ultérieure de la voix (littéraire) du peuple glissant « de l’oral vers l’écrit » (137), même si l’écrit est largement oralisé. Et Nelly Wolf montre que dans cette transformation, peut-être plus encore que dans le discours direct, la parole est « confiée à la maîtrise du romancier» (141). D’une toute autre façon, c’est aussi le cas de « Les voix du peuple au service de la Contre-Révolution : L’Ensorcellée de Barbey d’Aurévilly » (145-154) de Gisèle Séginger.
Chez Barbey, les voix populaires servent à créer « un nouveau type de fantastique » (146) et il en résulte une polyphonie que Barbey veut comme une résistance à la modernité. Mais l’ordre hiérarchique défendu par Barbey concerne aussi le texte littéraire : c’est le narrateur qui les évoque et qui les organise. Gisèle Séginger montre ainsi que « les voix du peuple [peuvent être instrumentalisées] contre le peuple », un aspect qui aurait pu être poursuivi dans d’autres contributions. Ce n’est certainement pas le cas avec la question du titre de André Not et de Catherine Rouyarenc : « La parole du peuple dans le roman est-elle possible ? La voix de “la” Radigond (Poulaille, Le Pain quotidien) » (155-165) Cette question se pose à cause du caractère marqué, distancié et codifié de la parole du peuple (même) chez Poulaille.
Si dans les écrits autobiographiques (L. Bourgeois, P. Hamp, G. Navel, C. Malva), « les écrivains se heurtent à l’impossibilité de restituer dans l’écrit un parler qui relève de l’oral » (158), «le souci de représenter cette parole hante la fiction» (160) chez un écrivain prolétarien comme Poulaille. Le discours de la Radigond gagne surtout dans le dialogue (et par contraste avec les autres) un caractère oral fortement marqué, et on aurait pu se demander pourquoi Poulaille différencie ainsi l’oralité des uns et des autres. L’article «“Les gros mots” : Le Feu d’Henri Barbusse » (167-180) de Philippe Baudorre aurait dû précéder celui sur Poulaille et, à la différence de la plupart des commentateurs, Baudorre voit dans Barbusse un précurseur du « roman parlant ». Baudorre propose, avec de bonnes raisons, d’intégrer « les effets de lecture » (169) dans le dispositif oral. Ceci concerne par exemple le transfert vers les personnages populaires des fonctions descriptives et narratives ou de celle du commentaire, normalement réservée au narrateur. Si en plus « cette voix du peuple est donnée comme la voix de vérité » (178), Barbusse réalise peut-être le contrat de parler comme les poilus et en même temps de faire un roman largement oral. On ne peut certainement pas réclamer la même chose pour les romans du Monde réel d’Aragon. Dans «Le parler du peuple dans les romans d’Aragon : entre “morale du langage” et carrefour démocratique » (181-192), Corinne Grenouillet et Patricia Principalli partent de l’hypothèse que la voix populaire chez Aragon est «une voix militante» (182-184), le vrai peuple sont les communistes. Il existe « des voix divergentes » (184-187), mais ce n’est que le « discours intime [qui] est empreint d’un vocabulaire et d’une syntaxe populaires » (190). Est-ce qu’on peut en tirer la conclusion que «la composante populaire apparaît comme un élément nécessaire et inaliénable de la langue » (192) des romans d’Aragon ? Il est permis d’en douter. Ceci aurait pu être le cas avec « Jean Malaquais : l’oralité dans Les Javanais » (193-204) d’Anne Deffarges, un roman écrit aussi avant ceux d’Aragon. La langue des Javanais, le « parler javanais » est la langue des travailleurs étrangers sans papiers dans une mine de plomb en Provence. Mais Anne Deffarges nous donne plus d’exemples de situations où l’on parle cette langue incomprise par les autochtones qu’elle ne l’analyse en vue de sa fonction sociale. Bien sûr, le roman « offre le regard d’un étranger sur les catégories sociales les plus basses de la France de 1934 », mais l’oralité, que montre l’article, n’y est pas primordiale.
Le chapitre « Voix et chants » (205-241) réunit trois contributions assez hétérogènes : « Le peuple chez Stendhal : le chœur et les solistes » (207-217) de Pierre-Louis Rey, « Les paysans au café-concert : stéréotypes et voix divergentes» (219-229) d’Élisabeth Pillet et « Donner la voix au peuple à l’opéra : utopies et mystifications » (231-241) de Timothée Picard. Les voix du peuple se font rares dans l’œuvre de Stendhal et dans une première partie, Pierre-Louis Rey poursuit les apparitions momentanées du peuple et de sa langue dans les textes de l’auteur. Pour Stendhal, il y a « autant de peuples que d’états ou de villes » (214) et ce n’est que dans l’opéra italien (dans les deux sens) qu’il découvre un peuple désireux de liberté. Mais est-ce que « le plaisir dramatique » qu’il ne « voit plus [à Paris] que chez le peuple, à la Porte Saint-Martin, à la Gaîté, etc. » (217) est une voix du peuple ? Au moins implicitement, Rey donne une réponse (négative). Elisabeth Pillet montre comment un lieu culturel nouveau comme le café-concert peut donner une voix au peuple pour la lui retirer plus tard. À cause de la censure, le peuple y est presque toujours celui de la campagne, mais si sa langue sur scène se veut populaire, elle « ne comporte pas de maladresses grossières » (227) (est-ce qu’elles sont significatives pour le peuple ?). Et quand le café-concert se veut moins populaire qu’un amusement pour toutes les classes sociales, il devient encore plus une parenthèse de la vie sociale réelle où la condition sociale du peuple n’a plus sa place. Timothée Picard se consacre à l’utopie d’un opéra populaire, des débuts du genre jusqu’à aujourd’hui. Mais ses exemples littéraires (Romain Rolland, Gabriele d’Annunzio, Franz Werfel) et théoriques (Nietzsche, Shaw et Rolland) n’ouvrent pas de perspective nouvelle : une étude consacrée aux voix et à la représentation du peuple dans l’opéra du XIXe siècle aurait été plus instructive.
Sous le titre de « Légitimité d’une parole populaire » (243-312), nous trouvons cinq contributions dont deux s’occupent de nouveau de Vallès et de Poulaille, sans qu’on sache vraiment clairement pourquoi elles se situent ici. Marie-Françoise Melmoux-Montaubin se consacre à « L’œuvre romanesque de Jules Vallès : comment concilier “passion littéraire” et “passion sociale” ? » (245-259). Après avoir précisé la notion de « peuple » chez Vallès (qui inclut les réfractaires), l’auteur explique que pour Vallès, « faire entendre la voix du peuple ne saurait se réduire à imposer dans le texte la langue du peuple » (248). Et comme la langue littéraire est ressentie par Vallès comme la langue de l’autre, Vallès essaie, non sans succès, de « faire parler le narrateur comme le peuple et le peuple comme le narrateur » (255). En imprégnant aussi la narration de l’oralité, Vallès trouve un ton jusque-là inconnu, incluant la « passion littéraire » et la « passion sociale ». « Dubut de Laforest : les voix de la dénonciation » (261-277) de Charles Grivel présente une voix à l’opposé de celle de Vallès. Après avoir commencé avec des romans « ultrazoliens », Dubut renonce à « l’alibi scientifique » pour « aborder l’œuvre de régénération sociale » tout en changeant de Dentu à Fayard. Le mérite de l’étude de Grivel, c’est de situer l’œuvre de Dubut dans les champs éditorial et social de l’époque, mais est-ce que littérature de masse équivaut à littérature populaire et est-ce que ce sont les voix du peuple qui s’y manifestent ? Ou pour le dire autrement : est-ce que l’écriture de Dubut est « portée par une intention réellement rebelle et revendicatrice » (269) ? Les sujets des quatre romans évoqués permettent au moins des doutes. Si le romancier « jette l’éponge», c’est peut-être aussi parce qu’un tel projet se révèle impossible. Avec «La représentation du peuple à travers ses prises de parole: du sociotype d’Emile Zola au contresociotype d’Henry Poulaille (Le Pain quotidien) » (279-289) de Céline Pobel, on est loin d’une telle « littérature de masse ». Et au contraire de l’approche ethnologique de Zola, « seuls les auteurs du peuple peuvent parler de lui » (281). Selon Céline Pobel, « la parole ouvrière jaillit [...] spontanément avec le style direct » (285). Mais les exemples qu’elle donne montrent que ce sont beaucoup plus les contenus que la forme qui caractérisent cette parole ouvrière. Et cela vaut aussi pour une voix future « porteuse de sens et de sagesse » (288), qui est peut-être plus une construction allégorique qu’une voix du peuple. Est-ce qu’on peut parler de « voix du peuple » chez Gide ? Sandra Travers de Faultier (« Nudité de la voix sans voix : Gide (Souvenirs de la Cors d’assises) », 291-300) la découvre non seulement dans l’œuvre citée, mais encore dans « la voix-masque » (297-300) d’une protagoniste de La Symphonie pastorale. Dans les Souvenirs, c’est plutôt « une voix empêchée » et le mérite de cette contribution est d’expliquer que Gide ne donne pas la voix au peuple, mais met « en lumière combien celle-ci est l’otage du corps, de la langue, des règles du jeu qu’il soit procédural ou social » (297), cette absence de voix aurait pu être analysée par d’autres contributions. Jérôme Meizoz (« Charles-Ferdinand Ramuz et les voix du peuple », 301-312), en revenant aux sujets de son Ramuz (1997) et de L’Age du roman parlant (2001), élargit l’horizon en établissant un parallèle entre « la question du langage populaire dans le roman » et « celle du suffrage universel » (301). Ramuz « ne reproduit ni ne transcrit la langue orale », mais il établit « de savants effets syntaxiques d’oralité » (307), ce qui produit un récit oralisé, et on aurait aimé que la « lecture allégorique » de Farinet (1931) ait un peu plus analysé les homologies entre ce « roman parlant » et le champ politique.
Les « Voix d’en bas » sont le cinquième et dernier chapitre. S’y trouvent réunis des romanciers de la deuxième moitié du XXe siècle, entre aphasie, voix perdue, peu de voix et voix ouvrières (redécouvertes). « Henri Calet, ce peu de voix » (315-325) est présenté par Reynald Lahanque comme écrivain des « gens de peu » qui veut « donner la parole à ceux qui ne l’ont pas » (319). Selon Lahanque, il réussit à faire « passer quelque chose du ton de voix des gens » (320), mais comme on ne trouve pas de parler populaire chez lui, on aimerait avoir eu des analyses détaillées du peu de voix de « son langage parlé écrit » (322). Dans « Parole atopique et sagesse infuse dans La Pluie d’été de Marguerite Duras » (327-337), Constanze Baethge voit les « voix du peuple » réalisées « par la sonorité de la parole déployée et par le milieu social » (327) des protagonistes. Passant par la « simple énonciation orale » (329) des scènes parlées du roman, elle montre comment ce livre représente une « voix du peuple » nouvelle, celle « de ce très pauvre peuple quart-mondisé ». Mais dans les scènes parlées, on retrouve le style Marguerite Duras : est-ce que tout son œuvre exprime « la voix du peuple qui se fait entendre » (337) ? Dans « “C’est plutôt la leur de langue que j’ai perdue” : Annie Ernaux et la langue populaire » (339-348), Roselyne Waller se consacre au « passage d’une culture à l’autre, d’une langue à l’autre » (339), décisif chez Annie Ernaux, mais aussi chez nombre d’écrivains depuis Vallès qui thématise déjà les victimes des livres et de la culture. Waller montre que si l’auteur peut réhabiliter et sauver de l’effacement son monde d’origine, «ceci ne peut se faire qu’avec la langue adoptée» (343). Mais certaines expressions (populaires) résistent à la littérature blanche de cette langue adoptée. Avec sa situation (et aussi celle de sa voix auctoriale) « à la jointure du familial et du social » (348), Annie Ernaux arrive à sauver quelque chose de l’altérité de l’autre et Roselyne Waller ne renvoie pas sans raison à François Bon. L’article de Jacques Dubois (« Conversations en Wallonie de Jean Louvet. Aphasie ouvrière et pouvoir du verbe », 349-359) est doublement exemplaire : d’un côté, il montre l’importance du théâtre pour « les voix du peuple » et de l’autre que la question du langage est toujours aussi une question (de domination) sociale. L’auteur et la pièce qui sont au centre de l’analyse représentent cette interdépendance : par la situation familiale, par la conception du théâtre et par le langage des protagonistes. L’aphasie du titre ne peut être réparée (réhabilitée comme chez Annie Ernaux) que partiellement et grâce à une scène fantasmagorique. Et la discussion entre le père (mort) et le fils (émancipé et renégat) tourne autour de l’aphasie ouvrière octroyée et acceptée et devient ainsi « un discours réflexif qui tient de l’autocommentaire interprétatif » (359). Une réflexion sur les autocommentaires qu’on aurait souhaité trouver aussi dans d’autres articles. Ceci est heureusement le cas avec « Voix ouvrières dans Mémoires de l’enclave (Jean-Paul Goux) et Daewoo (François Bon) » (361-377) d’André Chauvin. D’abord consacrée à la structure des deux textes (« roman » pour Bon et « témoignages et documents » chez Goux), qualifiée à juste raison de « désordre soigneux » (362-365), l’analyse est surtout consacrée au « Grain de la voix » (365-372). L’importance accordée à la « façon de dire les mots » (366) par les deux auteurs, l’oralité impliquée par les entretiens ou la litanie des phrases et souvenirs créent une « poétique de la voix » (371) où « Discours et contre-discours » (372-377) montrent par leur polyphonie « combien les discours sont pris dans l’affrontement idéologique » (377) encore aujourd’hui et qu’une telle « voix du peuple » représente « ce qu’on demande aussi à l’art » (Bon).
On a vu que les enjeux de la question que pose ce livre « sont de nature politique autant qu’esthétique » (4e de couverture). Le développement pendant les deux siècles qu’abordent les contributions montre clairement cette interdépendance, et la thèse de Jérôme Meizoz du parallèle entre l’émancipation politique du suffrage universel et l’émancipation discursive accompagnée de l’alphabétisation aurait pu être prise en compte dans d’autres articles. En relation avec l’évolution que l’ensemble des contributions dégage clairement, allant d’une (nouvelle) attention aux voix du peuple dans la première moitié du XIXe siècle au « roman parlant » de la première moitié du XXe, en passant par l’appropriation de ces voix par la littérature dans la deuxième moitié du siècle, cette thèse pose aussi la question de l’avenir des voix du peuple dans la littérature. Est-ce qu’elles représentent désormais des illusions perdues comme semble le suggérer le « Liminaire » ou est-ce que, comme les dernières contributions l’indiquent, une littérature des « voix du peuple » est encore possible, si toutefois c’est « ce qu’on demande aussi à l’art » ?
Wolfgang ASHOLT
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